Adaptation cinématographique de

LES ENFANTS DU SABBAT

d'ANNE HÉBERT

 




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par
Roland Michel Tremblay





Anne Hébert

Paris, concert de piano par Bruno François organisé par moi
De gauche à droite: Anne Hébert, (en arrière, étudiant en littérature)
Bruno François (auteur, compositeur, interprète)
Claudette Hould (Directrice de la MEC), Roland Michel Tremblay (auteur)



Les Enfants du Sabbat d'Anne Hébert

Le Seuil, Paris, 1975, ISBN : 2-02-006564-9               Boréal, Montréal, 1995, ISBN : 2-89-052699-2

                              

Résumé


(On retrouve ce résumé au début du livre publié aux Éditions du Seuil, Paris, coll. «Points Roman», 1975. C'est la version que j'ai utilisée pour les références de page.)

 

C'est un couvent de pierre, fermé comme un poing. La vie vient mourir ici, contre les grilles du cloître. Québec 1944. Les nouvelles de la guerre filtrent pourtant les jours de parloir. Mais rien ne semble pouvoir atteindre les religieuses retranchées dans leur forteresse. Et voilà que soeur Julie de la Trinité a des visions. Les images de la montagne de B... la hantent. Une cabane dans la forêt, un village au bord de la rivière, des cérémonies étranges, l'alcool et la drogue. Un homme et une femme, pleins de vie et de malice, règnent en maître sur leurs deux enfants et sur tout un territoire de campagne et de forêt. Soeur Julie, qui se prétend amnésique, est bientôt envahie et possédée de nouveau par son enfance. Elle s'identifie peu à peu à une petite fille barbouillée de mûres. Bientôt soeur Julie et la petite fille ne forment plus qu'une seule et même personne, initiée très tôt aux mystères de ce monde, et maintenant lâchée chez les dames du Précieux-Sang, pour leur plus grande perte.


Présentation du scénario


Anne Hébert a expérimenté des problèmes dans le passé concernant l'adaptation de ses livres. Dans un désir de ne point répéter les mêmes erreurs, il est entendu que l'auteure aura toujours un droit de regard et un droit de veto sur les décisions relatives au scénario et aux orientations que prendra le film. Un contrat à cet effet sera signé entre l'auteure et l'équipe intéressée par le projet.

Toutes les scènes difficiles du livre ont été enlevées. Certains passages nécessaires au fil conducteur de l'histoire seront suggérés plutôt que montrés. Cela n'enlève rien au film, au contraire, il sera accessible à un plus grand nombre de personnes. L'humour y est au premier plan dans le but de divertir le spectateur, l'idée est de l'amener dans un autre univers.

Le film sera tourné en français et pourrait bénéficier d'une alliance franco-québécoise. Le site idéal pour le tournage du scénario serait, à mon avis, le village abandonné touristique de Val-Jalbert au Lac-Saint-Jean. On y retrouve un couvent, un presbytère, une chapelle dans un village voisin, un village avec des maisons, une cabane dans la montagne, une cave avec sol de terre, etc. On peut aisément reconstituer un pub londonien au magasin général. Il y a des appartements pour accueillir une équipe complète de tournage et de grandes salles dans le moulin qui permettent une bonne marge de manoeuvre. Quelques scènes pourront être complétées dans certains couvents de Chicoutimi, dont les Soeurs-Notre-Dame-du-Bon-Conseil et les Ursulines. Bien sûr, les scènes de la ville se feront dans le Vieux-Québec.

L'idée de l'adaptation cinématographique du livre Les Enfants du Sabbat n'a pas pour but de recréer l'atmosphère de terreur du célèbre film L'Exorcisme. Ainsi, selon les désirs mêmes de l'auteure, l'accent doit être mis sur la poésie des images ainsi que sur l'humour, sans sombrer toutefois dans le grotesque de Sister Act avec Whoopi Goldberg. Donc pas de personnages caricaturés. Le côté sérieux du caractère solennel apporte le contraste nécessaire à l'humour. Là où l'on pourrait ne voir qu'une simple chapelle, moi j'y vois la plus belle poésie possible, avec des images prenantes. Une simple soeur ? Oui, oui, on a déjà vu ça dans plusieurs films. Pas du tout, on n'a jamais vu ça, dans aucun film. C'est ça le défi. Ce pourquoi je privilégie une approche spéciale pour ce film, loin de ce que produit Hollywood. Le style se veut recherché, les images doivent devenir une oeuvre d'art en elles-mêmes. Le récit ne vient que supporter l'imaginaire, ce pourquoi la suggestion sera de mise. On suggère les pensées et les émotions, on laisse place à l'interprétation.

Par exemple, les scènes importantes, où un style particulier peut être développé, seraient la visite de Julie chez le docteur. Elle lui annonce alors que la coiffe des soeurs lui brûle la tête et elle entend la mère supérieure répéter des ordres contradictoires aux conseils du médecin. De même pour sa confession chez la mère supérieure, où elle imagine la mère en train de lui laver le visage avec une serpillière. Elle court ensuite vers le confessionnal, légère comme l'air, et plus elle approche la chapelle, plus elle devient lourde et est incapable d'avancer. Les images du couvent dans la nuit, la vie du quotidien, avec toutes ces images, il y a de quoi construire une vie monastique vraisemblable et passionnante. Un passage central important, c'est la scène de la pénitence de soeur Julie dans l'église où une vue aérienne part du fond de la chapelle pour aller tourner autour du cierge qui montre la présence de Dieu. La chandelle s'éteint alors et soeur Gemma s'affole.

Si je tentais de définir le style recherché, je pointerais la poésie des images que l'on retrouve dans le film Swoon (film en noir et blanc), également un peu Mort à Venise (film en couleurs fades). Un style différent qui apporte la suggestion, l'insolite, le surprenant, l'étrange, et qui ne donne pas toutes les réponses, aucune à la limite. Le Portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde contient cette atmosphère. La grâce et les silences, sensation d'inquiétude plaisante. Cela est très théorique, mais tente de transmettre une idée de la poésie recherchée.

Je propose de filmer la moitié du film en noir et blanc en ce qui concerne les années 40 à l'intérieur du couvent, tandis que toutes les visions de soeur Julie des années 30 seraient en couleurs, peut-être même des couleurs fades. Ceci suggérera très bien dès le départ le milieu du couvent fermé hermétiquement, un vrai univers carcéral où le conformisme est la loi. C'est ce tableau qu'il s'agit de peindre, ainsi que celui de la montagne Bélair (près de Québec). Les visions seraient en couleurs car c'est la libération de soeur Julie, elle est complice de son passé, elle est une sorcière. Le film Swoon prouve que le noir et blanc peut transmettre une grande poésie, différente de celle en couleurs.

Le film devrait privilégier le naturel en ce qui concerne le jeu des acteurs. Un peu comme un film de Woody Allen (Murder in Manhattan). On ne montre pas des acteurs qui jouent des rôles, mais des humains qui vivent pour vrai, qui ont des tics et font des erreurs. Tourné sur le vif, à peu près comme le style que développe Atom Égoyan dans Exotica. La fille se fait frapper dans le bureau, c'est très naturel, elle tombe par terre et se défoule pour vrai.

On ne peut passer sous silence d'autres films dont la trame se déroule dans un couvent. N'ayant point la possibilité de les visionner, je crois qu'une équipe intéressée devrait les considérer. Agnès de Dieu avec Jane Fonda et Sainte-Thérèse d'Avila semblent être de bonnes références. Le dernier est un film d'Alain Cavalier, 1987 environ, film français qui relate le 19ième siècle. On m'a dit que c'est génial et que l'on se tromperait en faisant moins que les images que Cavalier nous offre. À éviter, The Devils de Ken Russell, une histoire de couvent en folie.

Bref, je termine ces quelques idées de lecture en disant que c'est dans la multiplicité des détails et des bonnes idées bien placées que le film peut prendre une tournure intéressante. Je suis convaincu que l'on peut laisser à l'humanité une oeuvre aussi grande que le livre et le film Kamouraska de Claude Jutras, et que le film Les Enfants du Sabbat peut s'avérer aussi grand que l'oeuvre elle-même d'Anne Hébert.




PLAN
Introduction - présentation des lieux et des principaux personnages


Été des années 40, couvent québécois (noir et blanc)
Soeur Julie de la Trinité, immobile dans sa cellule
Été des années 30, vision de Julie, cabane dans la montagne (couleurs)
La montagne, vallée, roches, troncs d'arbres, souches, broussailles
Couple sacré qui préside à la destinée de la cabane et de leurs deux enfants


I - Été


1. Introduction - présentation du couvent et de la cabane dans la montagne de B...
2. Diagnostic du médecin à propos de Julie, elle est en santé
Traverse du village en voiture fermée hermétiquement, vision de la mort de Mme Talbot
3. Soeurs en émoi de la vision de Julie à cause de soeur Gemma
Conformisme chez les soeurs du Précieux-Sang
Fausse confession de Julie à la mère supérieure à propos de ses visions
4. Fausse confession de Julie à l'abbé Migneault à la chapelle
5. Pénitence de Julie dans la chapelle, étrange atmosphère
6. Comportements des parents à la cabane
7. Procession des religieuses, les préparatifs de soeur Gemma
Pénitence de Julie qui conduit aux visions de la cabane
8. Le sabbat, célébration sacrificielle
Le diable couche avec Julie (suggéré)
Les deux demandes de Julie en retour: que Gemma paie sa gaieté et l'abbé comprenne son insignifiance
9. Vengeance sur soeur Gemma
10. Vie silencieuse et hermétique du couvent avec bribes extérieures de la guerre qui passent la barrière
Désespoir de soeur Gemma, jouissance de Julie
11. Vie spirituelle des soeurs au couvent, images de nuit
12. Vengeance sur l'abbé Migneault
13. Voeu de pauvreté des soeurs contre le jeu de l'argent des dirigeantes: capital, dividende, achat et vente
14. Au lavoir, vision de Julie
Sommeil somnambulique de soeur Julie, émoi chez les soeurs et la supérieure
15. Les peurs enfantines de la mère supérieure reviennent
16. Soulagement des souffrances de soeur Amélie de l'Agonie par Julie


II - Automne (p.64)


17. Viol de Julie enfant (omis)
Initiation de Julie pour devenir sorcière, elle devient complice (incorporé à 8)
18. Hémorragie de soeur Julie
Le docteur Painchaud reçoit la visite surprise nocturne de Julie (omis)
19. La mère supérieure perd le contrôle du couvent
20. La nuit déboussolée du couvent
21. Retournement de soeur Julie pour son frère Joseph, elle redevient pieuse
22. Office des ténèbres, trois jours de jeûne et de pénitence (omis)
Signe de malheur de Joseph à l'étranger (omis)


III - Hiver (p.84)


23. Scène d'hiver à la cabane, enfants battus, ne mangent pas, etc. (omis en partie)
24. Fin du carême, nouvelles du frère: son mariage avec Piggy
Aliénation de Julie au dîner (omis en partie)
25. Internement de Julie possédée dans un puits, elle réclame Joseph (enfermée dans sa chambre plutôt)
26. Annonce de la cérémonie pour initier le garçon (il n'y aura pas de cérémonie, ni d'invités)
27. J sur les bras de soeur Julie de la Trinité, pour Julie, Joseph et Jésus (omis)
28. Initiation ratée de Joseph, échec de la sorcière (omis)
29. Généalogie de Julie dans la chambre du nouvel aumônier (omis)
30. Fuite de Joseph dans la forêt sous les lamentations de la mère (reporté à 26)
31. Conflit entre la mère et la fille, transmission du savoir de mère en fille


IV - Été (p.112)


32. La bagosse (alcool) fait des morts. Les villageois, le curé et la police s'activent
33. Condamnation par le mari de la sorcière-mère, il la peint selon le rituel et disparaît dans la forêt (omis en partie)
34. Mea culpa des villageois, ils veulent ravoir une conscience claire envers Dieu
35. Julie cherche son frère Joseph dans la forêt
36. Les soeurs pèchent, elles s'aliènent à Julie en se faisant exaucer des prières-pensées plutôt mauvaises
37. Retrouvailles de Julie et Joseph, la cabane passe au feu
38. Les enfants constatent les dégâts et la mort de leur mère
Destitution de l'infirmière de garde qui semble avoir des visions (omis)
Idée de l'exorcisme par l'abbé Flageole (omis)
39. Le Dr Painchaud dépérit (omis)
40. Julie ressuscite dans toute sa beauté au désespoir de Painchaud amoureux qui voudrait s'en détourner (omis)
41. Désespoir de soeur Gemma (omis)
42. Julie lance un sort à Piggy et son enfant
La soeur économe, sous les instances de Julie, organise la ruine du couvent


V - Automne (p.141)


43. Le couvent se questionne sur Julie
44. La paix revenue est attribuable à soeur Gemma qui souffre, on en fera une sainte martyre qui rapporte (omis)
Julie frappe à nouveau soeur Gemma (omis)
45. Gemma ne sera plus sainte et ne sauvera pas le couvent de la ruine (omis)
Apparition de Joseph nu devant les deux soeurs de garde
L'histoire de Joseph et Julie devenus enfants sauvages, jusqu'au départ de Joseph à la guerre
46. Le nu raconté par les deux soeurs chez la supérieure, le plaisir qu'elles y ont pris


VI - Hiver (p.157)


47. La femme de Joseph est enceinte. Julie se déchaîne, une tempête éclate
48. Julie séduit le Dr Painchaud (omis)
49. Visite de Marilda Sansfaçon, une témoin du passé. Son assassinat (omis)
Julie danse avec Joseph dans un pub londonien
Sort jeté à Joseph. Annonce de sa mort alors que sa femme et son bébé sont déjà morts
50. Télégramme annonçant la mort de Piggy et son enfant
51. L'exorcisme de Julie par le grand exorciste, un pacte implicite se produit entre les deux (omis)
Julie le gagne par des tissus richissimes durant la nuit (omis)
Julie est enceinte
52. Attente du bébé
Julie rumine contre la trahison de Joseph


VII - Été (p. 175)


53. Le Dr Painchaud ausculte Julie
On trouve les marques du diable sur le corps de Julie (omis)
Durant la nuit la mère supérieure découvre dans le grenier l'enfant du diable
54. Meurtre du bébé par la mère supérieure, le docteur et l'aumônier
Départ de Julie du couvent: mission accomplie, le couvent au complet gît dans le péché




SCÉNARIO DES ENFANTS DU SABBAT


Partie I - Été
 

Chapitre 1


Introduction - Présentation des lieux et des principaux personnages : le couvent et la cabane dans la montagne Bélair


(Malgré la minutie du détail, tout le premier chapitre se déroule rapidement, quelques secondes chaque scène.)

1.10 Été des années 40, vue de nuit sur un couvent cloîtré québécois.

1.20 On suit un couloir qui mène à la chambre de soeur Julie de la trinité.

1.30 On voit soeur Julie immobile dans sa cellule, les bras croisés sur la poitrine, dans toute l'ampleur et la rigidité de son costume de dame du Précieux-Sang. Transition vers sa vision.

1.40 Été des années 30, vision de Julie, cabane dans la montagne Bélair au Québec. Vue aérienne en fin de journée de la Montagne, on voit des roches, des troncs d'arbres enchevêtrés, des souches et des broussailles. On arrive à la cabane.

1.50 Un homme (Adélard) et une femme (Philomène) se tiennent debout dans l'encadrement de la porte, souriants. Le soleil illumine leurs mains tannées.

1.60 On voit de dos un jeune garçon (Joseph enfant) qui pisse très haut pour atteindre le tronc d'un pin. Ses pantalons sont déchirés.

1.70 La petite soeur (Julie enfant) l'admire, assise sur un tas de bûches, elle fourrage sa tignasse pleine de paille, d'herbe et d'aiguilles de pin. L'air est parfumé (montrer des fleurs sauvages), sonore d'insectes et d'oiseaux. Les enfants sont mal habillés, jamais peignés et ont des poux.

1.80 La lumière devient sensible à outrance, on fait l'inventaire de la cabane. Pas très grande, composée d'allonges successives qui donnent un air épars de blocs de bois, à moitié mangés par la forêt, plus ou moins droites. La porte d'entrée et les deux fenêtres en décrépitude sont peintes en rose et en violet. Du porc salé cuit dans la poêle avec un grésillement régulier, des fumées de tabac flottent au-dessus de la table. Une cuvette de granit bleu écaillé est posée sur le plancher de bois brut, juste au-dessous d'une pompe noire, à moitié rouillée. Dans un coin quelques pommes de terre s'échappent d'un sac de jute.

Philomène
Des patates, des patates, encore des patates ! et pis à moitié pourrites, par-dessus le marché !

1.90 On n'entend plus frire le porc salé, plus aucune fumée grasse ne s'échappe de la poêle. Pendu à un clou, sur le mur de sapin, s'étale un étrange chapeau de femme, en paille bleue, avec un oiseau et une fleur emmêlant leurs fils de laiton rouges et dorés.

Philomène
Je vas mettre mon beau chapeau sur ma tête, pis je vas descendre en ville chez Georgiana. Je suis tannée de manger des patates pourrites, moé... Si tu veux pas travailler, Adélard, c'est moé qui...

1.100 Tandis que la menace du départ plane dans la cuisine, et que le père s'enferme dans son silence, on peut s'échapper par la porte du fond mal rabotée et qui possède une poignée de porcelaine blanche éblouissante. Une fois la porte ouverte, il n'y a qu'à suivre la vieille passerelle de planches à ciel ouvert qui conduit aux chambres d'été. Parmi les fougères rousses et la rhubarbe sauvage qui bordent la passerelle, on aperçoit une couleuvre. Les deux chambres sont petites et sans fenêtre, de vraies cases de bois bien fermées. La chambre des parents, le lit, à l'armature de fer tarabiscotée, prend toute la place. Le matelas fait des bosses abruptes sous l'épaisseur de la courtepointe rouge et violette à moitié crevée. Pour se rendre à la chambre des enfants, il faut passer par la chambre des parents. Les jeunes dorment sur des paillasses posées sur le plancher.

1.110 La vue de la chambre semble rapporter un souvenir. Soudain on voit Joseph enfant qui tente d'ouvrir la porte verrouillée, puis il se terre dans un coin de la chambre, face au mur. La petite fille est couchée sur le lit, exactement comme soeur Julie au couvent. On entend tout le remue-ménage de caresses et de coups des parents l'autre côté de la cloison, ils font l'amour. On revoit Soeur Julie dans sa cellule. Elle se surprend à dire, avec la petite fille, ne faisant soudain plus qu'une seule et même personne, la même phrase.

Julie et Julie enfant
Ça va-t-y finir ! Mon Dou ! Ça va-t-y finir !

1.120 Julie enfant ouvre la porte de la petite chambre. Les parents n'y sont plus. Elle voit une autre porte découpée à même la cloison ouverte qui donne sur le hangar. Dans le hangar on voit des cages de lapins vides, des traces qui prouvent que jadis des poules y picoraient librement sur la paille. À travers le foin, une trappe dans le plancher est ouverte et conduit à la cave. Les murs sont recouverts d'une mousse verte, par terre des bûches en désordre. Sur une longue planche disposée sur des tréteaux, sont alignés des bouteilles, des cruches de verre et un entonnoir de fer-blanc. Puis on voit un alambic en parfait état de marche, avec sa cheminée fumante, son serpentin et sa chaudière bien remplie de bûches. Un liquide étrange et joyeux bouillonne doucement. Les bouilleurs de cru ne doivent pas être loin. La lumière disparaît tout à fait, l'alambic siffle et crépite à qui mieux mieux.

1.130 Un pas lourd et précautionneux s'approche de la cabane. L'homme gratte avec ses ongles dans le panneau de la porte. Une voix d'homme à la fois impérieuse et suppliante, grommelle le mot de passe.

L'homme
La Goglue, y es-tu ?

1.140 Une femme bouge dans l'ombre, impossible de voir son visage (Philomène). Elle verse un liquide dans une des cruches de verre à l'étiquette verte trompeuse où on peut lire : Une des cinquante-sept variétés Heinz. Adélard surveille l'opération en riant.

1.150 L'homme, au-dehors contre la porte d'entrée, s'impatiente et hurle. Il réclame l'alcool de fabrication clandestine.

L'homme
La Goglue, y es-tu ? Je veux mon gallon de bagosse !

1.160 Soeur Julie revient brusquement à elle, dans la nudité de sa cellule. Non pas comme si elle avait dormi et rêvé, mais comme si quelque chose de réel et d'extrêmement précis venait soudain de s'effacer devant elle. Elle ressent une douleur aiguë à la tête et à la nuque.


Chapitre 2



Diagnostic du médecin à propos de Julie, elle est en santé

2.10 Dans le bureau du médecin, la petite tête de hibou tourne avec difficulté sur le cou large et très blanc. Soeur Julie regarde le médecin devant elle, elle voit sa réflexion dans ses énormes lunettes d'écailles. Elle regarde le costume de son humiliation. Le serre-tête de toile laisse passer des petits cheveux raides. La chemise d'hôpital se termine aux genoux et s'ouvre dans le dos, sur les fesses rondes de Julie. Elle méprise le médecin qui demeure silencieux. Puis elle l'imagine, à la limite de sa patience, dans une sorte de rêve, parler d'une voix plate et déformée. Ce n'est que dans un soudain retour à la réalité que le médecin lui annonce qu'elle est en santé.

Médecin
(Voix déformée d'un rêve éveillé de Julie)
Votre urine et votre sang passent par des boyaux éclairés par le baryum. Votre squelette est visible à travers votre chair et votre peau. Et voici votre crâne scalpé, dénudé jusqu'à l'os par les rayons X.

Médecin
Vous êtes en parfaite santé ma soeur.

Julie
La coiffe me brûle comme du feu. Notre mère supérieure vous le dira. Elle a vu, de ses yeux vu, les traces rouges dans mon cou, sur mon front et ma nuque. Cela me serre comme un étau, des tenailles de fer terribles...

Médecin
Vous êtes très nerveuse, ma soeur. Avez-vous remarqué si les migraines ne se déclaraient pas au moment de vos règles ?

2.11 Soeur Julie regarde droit devant elle, tout son visage semble changé en pierre. Ses lèvres se serrent, elle porte à son front une main robuste mais enfantine, aux ongles courts.

Julie
J'ai presque toujours mal à la tête. Mais, à mesure que la date prévue pour ma profession approche, ça devient intolérable. Il me semble que mes os craquent. Je ne puis plus bouger les épaules ni tourner la tête...

Médecin
Vous avez beaucoup d'imagination, ma soeur.

Julie
Par deux fois j'ai dû ajourner la date de ma profession.

Médecin
Que dit votre mère supérieure ?

Julie
Elle dit que c'est une tentation du démon et qu'il faut prier sans cesse.

Médecin
Vous pouvez toujours prier, ma soeur. Cela ne peut vous faire de mal. Mais vous avez aussi besoin de vitamines et d'air pur. N'oubliez pas d'ouvrir les fenêtres chaque fois que vous le pourrez, et de respirer profondément. Et puis buvez du lait, beaucoup de lait.

2.12 La voix, presque souterraine, de la supérieure s'insinue tout près de l'épaule de Julie.

Voix de la mère supérieure
(Voix souterraine)
Il est rigoureusement interdit d'ouvrir les fenêtres ! On ne sait jamais ce qui peut nous venir de l'extérieur, caché dans une poussière. Le démon est rusé et insidieux.

Médecin
Vous pouvez quitter l'hôpital, ma soeur. Je vous donne votre congé. N'oubliez pas, de l'air pur, du lait pasteurisé, du fer et de la vitamine C. Ni thé ni café. Du calme et de la bonne humeur et tout ira bien.

Traverse du village en voiture fermée hermétiquement, vision de la mort de Mme Talbot

Soeur Gemma
Vous venez, ma soeur ? La voiture du couvent nous attend. Vous êtes sûr de ne rien oublier ?

2.20 À l'extérieur, la voiture du couvent attend avec soeur Gemma. Cette dernière ouvre et referme avec fracas les tiroirs de métal. Elle rayonne de joie, elle s'agite et met sur les épaules de Julie une cape noire, usée, soigneusement reprisée. Cette cape semble lourde comme du plomb sur les épaules de Julie. La voix haut perchée de Gemma exulte et fatigue Julie.

Soeur Gemma
Alors ma soeur, vous n'avez rien du tout, pas la moindre petite maladie. Le docteur l'a dit. Vous devez être contente d'être en parfaite santé ?

2.21 Elles ont les mains enfouies dans leurs manches, les jupes bien étalées sur la banquette de la voiture. Traverse du village : les rues sont ouvertes, on voit des voitures, les gens sont dehors. Des hommes, des femmes et des enfants dont l'ombre est clairement dessinée sur le sol par contraste au soleil. C'est l'époque de la guerre, des affiches engagent à souscrire à l'emprunt de la victoire. Des fragments de vie tourbillonnent autour de la voiture des soeurs. Soeur Gemma jette des regards furtifs. Sa figure ingrate, couleur d'ivoire, s'illumine par éclairs à chaque vitrine qui passe. Soeur Julie serre les poings à l'intérieur de ses larges manches et n'a plus l'énergie, ni même le désir, de glisser un coup d'oeil de profil. Jusqu'à ce qu'une maison de taille attire son attention. Elle se fige devant la maison étrangère. Soeur Gemma l'ayant remarquée, faisant mine de rien et continuant d'égrener son chapelet, susurre à l'oreille de Julie.

Soeur Gemma
On dit que Me Talbot ne s'est jamais très bien conduit avec sa femme. Il a toujours été dur avec elle. On dit aussi que la pauvre femme est très malade.

2.30 Julie est comme transportée dans la maison des Talbot, dans une des chambres du premier étage. Elle voit Mme Talbot mourante à travers une peau de plus en plus transparente, un fin squelette de craie blanche.

2.40 Julie s'empresse de faire son signe de croix, se penche vers soeur Gemma et lui parle très bas, sans bouger la tête ni même ouvrir la bouche, semble-t-il.

Julie
Il faut prier, soeur Gemma, tout de suite, bien fort. Mme Talbot est en train de mourir...


Chapitre 3



Soeurs en émoi de la vision de Julie à cause de soeur Gemma
Conformisme chez les soeurs du Précieux-Sang

3.10 Au couvent, les soeurs se racontent les derniers potins, de véritables pies. Soeur Gemma tremble en chuchotant la dernière nouvelle à ses compagnes.

Soeur Gemma
Mme Talbot est morte au moment précis où soeur Julie de la Trinité me l'a annoncé.

3.11 Un coup sec de claquoir met fin aux murmures des soeurs en récréation. De façon éclatante il faut voir le conformisme des soeurs. Elles sont toutes identiques bien placées sur une ligne droite. Julie ressort du lot, elle est incapable de demeurer en rang, elle ne se tient pas droite, bien qu'elle essaie d'imiter les autres. Elle voudrait se perdre à travers les autres, impossible.

Mère supérieure
Les conversations en aparté ou à voix basse sont rigoureusement interdites. Soeur Gemma, veuillez noter que notre Sainte Mère l'Église, dans sa sagesse infinie, recommande la plus grande prudence quant à l'interprétation surnaturelle de certains phénomènes par trop extraordinaires. Soeur Julie, suivez-moi, je désire vous entendre sur-le-champ.

3.12 Soeur Gemma parlait avec d'autres soeurs lorsque la mère supérieure entend sa dernière phrase en un éclat de rire. La supérieure se fait ensuite un commentaire à elle-même.

Soeur Gemma
Moi, travailler dans la cuisine, c'est ce que j'aime le moins au monde !

Mère supérieure
Ceci n'est pas tombé dans l'oreille d'une sourde.

Fausse confession de Julie à la mère supérieure à propos de ses visions

3.20 Mère Marie-Clotilde, derrière son bureau, examine Julie avec une application démesurée. Julie baisse la tête et voudrait cacher son visage entre ses mains.

Mère supérieure
J'ai rang de supérieure et de directrice spirituelle, j'ai des filles sous mes ordres. Je dis à l'une : va, et elle va ; à l'autre : viens, et elle vient ; et à la nouvelle postulante qui entre ici : fais cela, et elle le fait. Ne faut-il pas que mes filles, sans exception, soient devant moi, comme des livres ouverts, afin que je puisse lire leur âme sans effort ?

Le rapport du médecin est formel. Vous êtes saine de corps et d'esprit. C'est votre âme qui est malade, dangereusement malade. Nous allons nous employer, avec la grâce de Dieu, à hâter votre guérison.

3.21 Soeur Julie se tait et ferme les yeux, comme si elle dormait debout, tout armée.

Mère supérieure
Savez-vous, ma soeur, qu'on peut mentir en ne répondant pas et en se taisant ?

Julie
M. l'aumônier me l'a déjà dit.

Mère supérieure
Qu'attendez-vous pour vous décharger le coeur ? Avouez, ma fille, et vous serez délivrée. Et vous pourrez prononcer vos voeux, dans la paix de l'âme, à la prochaine cérémonie de prise d'habit. Avouez que vos prétendues révélations ne sont que des contes et des sornettes que vous racontez à vos compagnes pour vous rendre intéressante ? Avouez que vos prétendues douleurs ne sont que des comédies ?

3.22 Les ongles de Julie s'enfoncent dans ses paumes.

Mère supérieure
À quoi pensez-vous ? Comment voulez-vous que Dieu vous aide, si vous refusez de m'ouvrir votre âme ?

3.23 Julie se décide à parler avec une petite voix suave qui semble ne pas lui appartenir. Ironie, voix irréelle.

Julie
Je m'engage devant vous, ma mère, à ne plus jamais me plaindre d'aucun mal ou douleur, à ne plus jamais croire à aucun pressentiment et à accomplir fidèlement mon devoir...

Mère supérieure
Ne vous fiez pas à vous-même, il faut vous abandonner à l'obéissance la plus stricte. Si vous n'arrivez pas à prononcer vos voeux perpétuels à la prochaine prise d'habit, en septembre, vous êtes perdue, damnée. Une religieuse qui manque à sa vocation ne trouve pas facilement la paix en cette vie et dans l'autre. Vous avez promis de rester dans ce couvent jusqu'à la fin de vos jours. Vous devez vous plier à la règle, subir la loi. Vous devriez vous confesser, le plus tôt possible, ma fille. Peut-être, avec la grâce de Dieu, M. l'aumônier pourra-t-il vous délivrer de votre secret ?

Julie
Je me confesserai, ma mère, je vous le promets.

Mère supérieure
Mettez-vous à genoux, je vais vous bénir.

3.24 Soeur Julie s'agenouille sur le parquet, aux pieds de la supérieure. Mère Marie-Clotilde, d'une main ferme, trace le signe de la croix sur la tête inclinée de Julie. Mais cette tête lui tourne, le parquet miroite, prend une importance excessive et emporte Julie dans son éblouissement, lui fait chavirer l'esprit. Un seau d'eau de Javel est là, soudain, posé par terre. Voici que la mère se dédouble et descend de sa chaise, s'approche sans bruit de soeur Julie, s'agenouille à son côté.

Mère supérieure (Voix déformée.)
Lavez le parquet, ma fille.

3.25 Soeur Julie a déjà commencé à laver le parquet, selon les ordres reçus. La supérieure trempe la serpillière dans le seau et, sans tordre le linge, baigne le visage de soeur Julie qui éprouve à la fois une douleur et une volupté extraordinaires.

Mère supérieure
(Elle ricane une voix méconnaissable.)
Il faut que le visage de mes filles soit lessivé comme un plancher clair.

3.26 Julie relève la tête précipitamment, la supérieure ne semble pas avoir bougé. Elle est toujours à sa place, sur sa chaise, derrière son bureau, la main levée pour bénir Julie, indéfiniment, pourrait-on croire. Elle a pourtant un haut-le-coeur, comme si soeur Julie, agenouillée à ses pieds, venait de mimer devant elle une scène indécente et compromettante.

Mère supérieure
À quoi pensez-vous donc, ma soeur ? Je vous ordonne de me répondre.

Julie
À rien, ma mère. À rien, je vous assure.

Mère supérieure
Relevez-vous, ma fille. Notre père l'aumônier saura bien vous délier la langue, lui. Il vous entendra en confession.

3.27 Soeur Julie se redresse d'un bond excessivement brusque. Elle regarde mère Marie-Clotilde droit dans les yeux et lui parle d'une voix maintenant éclatante, presque triomphante.

Julie
J'irai à la confesse, ma mère, puisque vous me l'ordonnez. M. l'aumônier m'attend. Je suis sûre qu'il m'attend. C'est l'heure.

3.28 Soeur Julie quitte la pièce à grandes enjambées. Mère Marie-Clotilde, debout, toute droite, contemple avec stupeur ses grandes mains, comme séparées de son corps, qui tremblent de rage.



Chapitre 4



Fausse confession de Julie à l'abbé Migneault à la chapelle

4.10 Julie se met à courir. Trois corridors et deux escaliers n'arrivent pas épuiser son énergie. On dirait un vent très fort qui la pousserait, la rendant légère comme l'air. En approchant de la chapelle, soeur Julie ralentit ses pas. Ses jupes redeviennent très lourdes et sa coiffe extrêmement serrée sur sa tête, le long de ses joues. Elle avance de plus en plus difficilement, elle rencontre à chaque pas une étrange résistance dans l'air. Elle soulève avec ses genoux, avec ses cuisses, la masse compacte de ses jupes changées en plomb. Elle se repose par terre, sort de ses jupes une lettre adressée à elle qui vient de son frère Joseph d'Angleterre, elle peut y lire écrit dessus : Somewhere on the front. Elle met la lettre sur son coeur, prend dans sa main son crucifix, y flatte Jésus et dit:

Julie
Joseph.

4.11 Elle veut se repentir de ses péchés pour sauver son frère. Elle se relève et marche légèrement vers son confesseur, l'âme apaisée.

Julie
Je me confesse à Dieu tout-puissant et à vous, mon père. Ça fait une semaine que je suis allée à confesse. J'ai reçu l'absolution et j'ai fait ma pénitence.

4.20 Longtemps les semelles usées de Julie demeurent visibles au bas du petit rideau violet du confessionnal. L'abbé Migneault semble écrasé par la fatigue.

Abbé Migneault

Soeur Julie, vous mentez tout le temps sans le savoir. Votre nature profonde est menteuse, faussée en quelque sorte. Cela explique très bien vos prétendues révélations et visions, et les maux imaginaires dont vous souffrez.

Je vous délie de vos péchés, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Pour votre pénitence vous direz dix Pater et dix Ave Maria, à genoux, les bras en croix. Allez en paix et priez Dieu qu'il vous délivre de toute imposture.



Chapitre 5



Pénitence de Julie dans la chapelle, étrange atmosphère

5.10 La petite chapelle blanche et dorée. Julie, à genoux, les bras en croix, récite ses prières. Elle regarde bien droit devant elle la lampe du sanctuaire, signe de la présence réelle de Dieu dans le tabernacle. Elle a le sentiment de l'abandon de Dieu, de l'inutilité de son sacrifice. Elle est triste et déprimée.

Julie
Notre père qui êtes aux cieux, que votre nom soit sanctifié, que votre règne vienne, que votre volonté se fasse sur la terre comme au ciel. Donnez-nous notre pain quotidien, pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés, mais ne nous soumet pas à la tentation du mal...

5.11 Elle arrête au milieu de son Pater, tout en gardant la position de la croix. Elle semble bien tout à coup, une douceur étrange. Muscles, nerfs, articulations se détendent. Ses sens se décuplent. Elle entend clairement, malgré la distance, palpiter la flamme dans la lampe du sanctuaire. Cette musique la remplit de joie, elle atteint presque la jouissance lorsque qu'elle reçoit un courant d'air très fort venant de l'autre bout de la chapelle, du côté de la porte d'entrée. La vieille soeur qui prie à côté, appuyée contre un pilier, à deux pas de soeur Julie, ne semble s'apercevoir de rien. La violence du vent diminue en approchant de l'hôtel, s'achève en un murmure, comme une respiration humaine, et souffle d'un seul coup la lampe du sanctuaire. Julie est transportée en esprit dans la montagne, tandis que son corps reste debout en croix dans la chapelle.



Chapitre 6



Comportements des parents à la cabane

6.10 Philomène, habillée en rose et portant sur la tête un chapeau de paille bleue, garni d'une fleur et d'un oiseau, grimpe allègrement le raidillon de sable et de cailloux qui mène à la cabane. Elle tient, à bout de bras, deux énormes valises de carton jaune. Elle respire vite et sourit de toutes ses dents. Adélard est sur le seuil de la cabane et l'attend. Les enfants font semblant de jouer dans le sable, épiant la scène qui va se produire entre les parents. Il s'agit d'une scène de réconciliation. Adélard ne parle pas à l'exclamative, c'est un jeu entre les époux.

Adélard
Va-t-en, cochonne, salope, je ne veux plus de ta cochonne de peau dans ma maison.

6.11 Adélard se tient dans la porte pour bloquer le passage. La mère rit toujours mais n'ose pas avancer. Elle a déposé les valises à terre. Elle sait ce qui l'attend. Les deux bras ballants, elle regarde le père. Patiente et immobile, elle accepte sa punition sans cesser de sourire. Les petits yeux de l'homme brillent de malice et de plaisir. Après avoir placé la mère contre le mur de la cabane, à côté du tonneau plein d'eau de pluie, le père entreprend aussitôt de la laver par-dessus ses vêtements neufs. Il lui verse quantité de seaux d'eau et de boue, joyeusement, sur la tête et sur tout le corps. La permanente de la femme, teinte en jaune, s'affaisse.

Philomène
Tout mon butin neuf va être gaspillé !

6.12 Elle grelotte, elle pleure à petits coups, tousse, à moitié étouffée. Adélard court chercher la courtepointe du lit de fer, il enveloppe sa femme, lui essuie la figure, la tête et les pieds avec son mouchoir. Il l'embrasse tendrement sur le derrière et la prend dans ses bras, toute mouillée, roulée dans la courtepointe. Il se précipite dans la cabane avec son fardeau qui glousse déjà à travers les larmes, claquant la porte. Les enfants dehors se jettent sur les valises pour en faire l'inventaire et trouver de possibles cadeaux.



Chapitre 7



Procession des religieuses, préparatifs de soeur Gemma et vision de soeur Julie à la chapelle

7.10 La procession des religieuses, aux yeux baissés, aux pas feutrés, s'est mise en marche par les corridors et les escaliers. Soeur Gemma, qui est sacristine, s'affaire pour préparer l'autel et la messe. Une plume d'oiseau dans un corps diaphane, rien ne semble peser sur elle. Aucune peine, misère ou faute, ni même le péché originel. Elle jouit de son innocence avec une impudeur enfantine. Elle se tient joyeuse près de l'autel et des vases sacrés. Elle découpe des hosties, silencieusement, quasiment en extase. Les longues feuilles minces de pain azyme, une très grande hostie pour le prêtre et d'autres plus petites pour les religieuses. Des larmes d'amour lui viennent aux yeux, tenant les hosties comme s'il s'agissait du Christ. Des vêtements sacerdotaux à côté remplissent soeur Gemma de ferveur et d'admiration, elle les soigne, les caresse doucement, les effleurant à peine de la main. Elle est heureuse. Pendant ce temps les religieuses approchent et Julie, toujours à genoux, les bras en croix, termine ses Avé Maria sans aucune trace de fatigue, sauf un très léger fléchissement des bras. Sur sa face pâle, une vague lueur malfaisante.

Julie
Je vous salue Marie pleine de grâce, vous êtes bénie entre toutes les femmes et le fruit de vos entrailles est béni...

7.11 Soeur Gemma est saisie de crainte. La lampe du sanctuaire s'est éteinte. Les soeurs se sont installées sur les bancs, l'abbé Migneault commence la messe.

Abbé Migneault
Asperges me Domine...

7.12 Coup de claquoir, les soeurs se lèvent puis se mettent à genoux. Elles font un grand signe de croix. Puis une petite croix sur le front, la bouche et la poitrine. Elles inclinent la tête et la relèvent. Les ornements verts, brodés d'or, du célébrant, brillent dans un rayon de soleil.

Abbé Migneault
Dominus vobiscum.

7.13 Adélard et Philomène se promènent dans les allées, aucune soeur ne semble s'en apercevoir à part Julie qui tente de suivre la messe et de chanter les prières. Le couple se pousse l'un l'autre, se couchent de tout leur long sur les bancs restés vides. Ils s'installent sur l'autel. Julie étouffe, privée d'air. Les deux enfants avancent maintenant dans l'allée, faisant des signes d'amitié à Julie. La petite fille se penche vers elle.

Julie enfant
Tu devrais avoir honte. On se ressemble comme deux gouttes d'eau. Tu es moi et je suis toi. Et tu fais semblant d'être une bonne soeur !

7.14 La petite fille tire les manches de Julie pour l'attirer vers l'autel. Les parents sont en train de croquer les hosties comme des biscuits au soda. Les soeurs, toujours aveugles des événements, psalmodient de leurs voix suaves et fraîches.

Les soeurs
Mea culpa, mea maxima culpa.

 

 

Chapitre 8

 

Le sabbat, célébration sacrificielle

Adélard
Qu'est-ce que tu fais cuire là, ma femme ? On sent une odeur épouvantable. Est-ce parce que nous avons des invités ?

Philomène
Tu n'aimes pas les odeurs de campagne, mon mari ?

8.10 Philomène, sous l'oeil réjoui de son mari, vient d'ajouter du guano frais au mélange qui cuit dans une marmite sur le poêle. Elle broie, réduit, brasse, amalgame le résidu d'alcool non distillé dans sa marmite, là où achève de mijoter un onguent lisse et gras fait d'herbes bizarres, de champignons rares et de débris obscurs.

8.20 Dans la cave, une à une, les gouttes de liquide s'échappent de l'alambic et retombent dans un pot de fer-blanc. Adélard prépare la bagosse pour la fête. Il prend le pot maintenant plein et le vide dans une des cruches de verre.

8.30 Différentes personnes viennent de différents villages ou villes, la plupart en vieilles Ford. Ils stationnent leurs voitures assez loin de la cabane dans les broussailles et gravitent le reste de la montagne à pied. C'est un soir de pleine lune. Les invités débordent jusqu'au dehors, ils rient et boivent à même la cruche que tend Adélard. Ils s'étouffent, crachant et s'éclaboussant. Les femmes se passent de l'une à l'autre un gobelet de fer-blanc.

Invitée 1
Ça brûle comme du feu !

Invitée 2
La danse est interdite par le cardinal dans tout le diocèse de Québec !

Invité 3
Jamais on a connu autant de marasme et de chômage. Le retour à la terre, il n'y a rien de plus sain !

Invitée 4
(Elle pleure.)
Le retour à la terre, c'est être couché dessous, avec six pieds de terre par-dessus !

Philomène
(Regardant ses enfants, dans un rire de gorge.)
Ceci est ma chair, ceci est mon sang ! Bienheureux ceux qui ont faim et soif, car ils seront rassasiés !

8.40 Dans la chapelle, soeur Julie extatique et blanche, semble dormir sur son banc. Deux soeurs font office de servantes de choeur autour de l'abbé. Elles tiennent des objets relatifs à une messe (l'encens et une petite assiette à hostie).

Abbé Migneault
Dominus vobiscum
Et cum spiritu tuo
Sursum corda
Oremus

8.50 Dans la vallée, un autel a été construit, des pierres ont été installées en cercle autour. Les invités s'assoient sur les pierres. Le couple se tient près de l'autel avec les deux enfants à leurs pieds en guise de servants de choeur. Ils tiennent des objets de culte (des bassines pour recueillir le sang du porc qui sera égorgé et une assiette avec la mixture étrange de tout à l'heure).

Abbé Migneault
Munda cor meum, ac labia mea, omnipotens Deus qui labia Isaiae prophetae calculo mundasti ignito.

8.60 Les gens dansent en rond sous la musique nasillarde d'un vieux phonographe actionné par un jeune adolescent. Puis la musique se désaccorde, devient stridente, la ronde se disloque, la musique ralentit, baisse de plusieurs tons, s'enroue et s'étouffe tout à fait dans un couac caverneux. On entend le crissement des criquets. Des appels de rapaces nocturnes se font entendre au loin. On a allumé des grands feux de bois vert, le vent rabat la fumée en volutes jusque sur l'autel. On voit vaguement Adélard égorger un cochon sur l'autel, le sang qui coule dans des bassines que tiennent les enfants. Philomène prend de la mixture qu'elle faisait cuire et en fait boire à Julie. Le couple installe la jeune fille sur l'autel. Un cercle de craie blanche à été dessiné autour de l'autel.

Philomène
Telle est la loi, l'envers du monde.

Adélard
Nul ne peut voir le diable sans mourir.

Philomène
Tu es l'égale de ta mère et l'épouse de ton père.

8.61 Adélard s'approche comme pour faire l'amour à sa fille, mais on ne voit rien de cela.

Julie et les soeurs
Sanctus, sanctus, sanctus
Pleni sunt coeli et terra
Gloria tua...

8.70 Des fèves au lard cuisent sur la braise enfouie dans la terre, le blé d'Inde sucré bout à plein chaudron. Le cochon égorgé tourne sur le feu. Philomène prend la bassine de sang de ses deux paumes aux doigts joints, en boit et tend la bassine aux autres. Les gens se courent partout après, hommes et femmes, ils s'embrassent.

Abbé Migneault
Hic est enim calix sanguinis mei,
novi et aeterni testamenti
mysterium fidei,

8.80 Soeur Julie de la Trinité, face éblouie, rit aux anges.

Abbé Migneault
Hoc est enim corpus meum

8.90 Julie enfant, dans son sommeil le plus profond, voit un arbre immense couvert de fruits rouges et noirs, très attirants, semblables à d'énormes mûres. La voix de Philomène, métamorphosée, appliquée, pédante, s'insinue tout contre son oreille.

Philomène
C'est l'Arbre de la Science, l'Arbre de Vie, le serpent qui a vaincu Dieu qui se trouve à présent planté dans ton corps. Tu es ma fille et tu me continues. Le diable, ton père, t'a engendrée, une seconde fois. Tu n'iras jamais à l'église du village te confesser. Tu ne diras jamais de prière et tu ne te serviras pas d'eau bénite. Le diable t'accordera tout ce que tu voudras.


Le diable a pris Julie enfant
Les deux demandes de Julie en retour: que Gemma paie sa gaieté et l'abbé comprenne son insignifiance


8.110 Au petit matin, alors que tout le monde est endormi, Julie se réveille et aperçoit son frère Joseph qui pleure en la regardant.

Joseph enfant
Julie, Julie, ma pauvre Julie. Je reste pas ici avec ces genses-là, dans la maison. J'ai pêché un achigan de deux livres, je vais le faire cuire pour toi. Je connais des cachettes sûres dans le bois, il faut nous en aller d'ici, au plus vite.

Julie enfant
Je suis initiée, je ne puis plus partir.

8.111 La vue monte vers le ciel, découvrant les restes de la fête dans le ravin et les gens qui dorment.

8.112 On voit soeur Julie assise sur son banc, les yeux ouverts. Sa voix retentit dans le néant, sans que ne bougent ses lèvres.

Soeur Julie
Tu me reconnais, vieux maudit ? C'est moi, Julie, ta fille. Je te demande deux faveurs au nom de l'enfant que tu as prise. Un, que soeur Gemma, confite dans sa joie mielleuse, soit confondue et ruisselle de larmes une bonne fois pour toutes. Deux, que le père aumônier découvre d'une façon irrémédiable, sa parfaite nullité, devant toute la communauté.

Abbé Migneault
Ite missa est.

 

Chapitre 9
 

Vengeance sur soeur Gemma

9.10 Soeur Julie est condamnée à brosser et à laver, à genoux, le long couloir dallé qui mène au bureau de la mère supérieure. Elle peut néanmoins entendre Soeur Gemma dans le bureau se défendre et pleurer devant les questions et les houspillements de la mère supérieure.

Mère supérieure
Comment cela est-il possible ?

Soeur Gemma
Je vous fais serment, sur la croix pendue à mon cou, que j'ai moi même compté les hosties avant la messe, et que le nombre requis y était pour la communion de toute la communauté.

Mère supérieure
Une qui s'endort pendant la messe, l'autre qui mange les hosties en cachette... vous êtes destituée de vos fonctions de sacristine. Votre âme est devenue aussi sale que vos claques à l'époque de la slush au printemps. Soeur Gemma, je vous nomme cuisinière.

Soeur Gemma
Non, s'il vous plaît ma mère, c'est la pire chose qui puisse m'arriver !

Mère supérieure
Vous n'aviez qu'à ne pas manger les hosties en arrière de la sacristine et à tenir votre langue. Ici, rien ne s'échappe, les murs de ce couvent ont une mémoire d'éléphant. Tout peut se retourner contre vous, en temps voulu pour l'épreuve.

9.20 Soeur Gemma est maintenant à la cuisine, agressée par tout ce qui salit, graisse, gicle, coule, écorche, coupe et brûle. Les mains blêmes de la sacristine pataugent dans la viande et le sang, les abats, les écailles de poisson, les plumes de poulet. Elle accumule les maladresses, elle vient de lancer par terre un gros morceau de viande.

Soeur Gemma
Mon Dieu !

Cuisinière en chef
Encore ! Et tu jures par-dessus le marché ? Mais qui est le con qui t'a foutue dans la cuisine, tu es capable de rien ! Pour ta punition tu vas m'éplucher ce vingt livres de patates, mais avant tu vas me débiter ce gros quartier de boeuf.

9.21 La cuisinière en chef, un gros boeuf en elle-même, reprend le morceau de viande sur le plancher, le met dans un plat, ajoute du beurre et des oignons, un peu d'épices, met le tout au four. Soeur Gemma renifle puis se met à pleurer dans son grand mouchoir d'homme. Elle regarde ses mains et ses manches pleines de sang, puis se met à vomir. Derrière, soeur Julie observe et guette. Tailloir, couteau, hachette, scie à os. Soeur Gemma se remet au travail, elle s'ingénie à débiter le quartier de boeuf.

Soeur Gemma
Tout ça m'écoeure ! Si je savais qu'il n'y a pas l'autre côté, moi, je fermerais boutique, tout de suite !

9.22 Le couteau tombe des mains de soeur Gemma et se pique tout droit dans le plancher. Elle tente de dégager le couteau. Elle se relève, son couteau à la main, face à face avec Julie.

Julie
Un couteau planté par terre, c'est signe de visite, ma soeur. Me voilà. C'est moi la visite.

Gemma
Vous êtes toujours sur mon dos, soeur Julie. Laissez-moi tranquille, je vous en prie. On dirait que vous voulez me pousser dans un trou.

9.23 Julie écarte Gemma de la table. Elle taille et tranche la pièce de viande. Ses gestes sont sûrs et précis, légers et joyeux.


 

Chapitre 10
 

Désespoir de soeur Gemma, jouissance de Julie

Soeur lectrice
Benedicite, Domine...

10.10 Les têtes s'inclinent et se relèvent dans la salle à manger. Les mains font et refont le signe de la croix. Les bancs sont longs, sans dossier, elles les tirent de dessous la table. Elles s'exercent à faire le moins de bruit possible, mais y arrivent difficilement. On en voit deux qui avec leur vaisselle et leurs couverts feront du bruit, qu'elles regretteront aussitôt. Silence. Du haut de la tribune, la soeur lectrice recommence à lire.

Soeur lectrice
Recto tono...

10.11 Soeur Gemma accourt de la cuisine, rabat ses manches, essuie son front, gagne sa place.

Gemma
Je m'excuse de mon retard. Mon Dieu, faites que je n'aie pas la tasse ébréchée, ou je croirai que c'est un signe de rejet de votre part.

10.12 Juste en face de Gemma, soeur Julie regarde avec attention, épiant sur le doux visage les premiers signes de désespoir. Gemma regarde la tasse de grosse faïence blanche, reconnaissable entre toutes, ses nettes ébréchures grises tout autour. Elle prend la tasse, y constate cette fêlure mince comme un cheveu qui pend de haut en bas.

Gemma
C'est la troisième fois consécutive ! Ai-je provoqué Dieu ?

10.13 Une soeur la rappelle à l'ordre. Le silence est la loi. Elle pose sa main sur la table pour demander du pain. Julie lui passe aussitôt la corbeille. Gemma forme un rond avec le pouce et l'index, soeur Julie se précipite pour lui servir de l'eau.

Gemma
Tous ces gestes... les sourds-muets ont un vocabulaire plus complexe que le nôtre. Et pourquoi faut-il aller jusqu'à recueillir le gras de l'eau de vaisselle pour en faire du savon ? Ici rien ne se perd, sauf la raison.

Et si on parlait de la guerre, là-bas, dans les vieux pays ? La France est occupée, l'Angleterre est bombardée. Mon frère a été emporté, d'une mort étrangère, en terre étrangère, pour une guerre étrangère !

10.14 Plusieurs soeurs lui font signe de se taire et regardent ensuite la mère supérieure qui semble n'avoir rien entendu.


 

Chapitre 11
 

Vie spirituelle des soeurs au couvent, images de nuit
(Certains passages de ce chapitre ont été incorporés au sermon du curé du chapitre suivant.)


 

Chapitre 12 A
 

(Le chapitre 12 B se retrouve après le chapitre 15)

Vengeance sur l'abbé Migneault

12.10 On voit la chapelle de l'extérieur, puis de l'intérieur. L'abbé Migneault commence son sermon.

Abbé Migneault
L'Ange du Seigneur a annoncé à Marie
Et elle a conçu par l'opération du Saint-Esprit
Et le Verbe s'est fait chair
Et il a habité parmi nous.

12.11 Le rire de soeur Julie de la Trinité retentit dans la chapelle. L'abbé Migneault, embarrassé, demeure muet. Il regarde la foule, pris de panique. Il a la sensation que l'on se moque de lui, il voit en un rêve éveillé, la foule qui le pointe du doigt.

Une femme
Un prêcheur ridicule, un homme tout ce qu'il y a de plus ordinaire !

Julie
Regardez son insignifiance totale, un homme déchu !

12.12 L'abbé Migneault se redresse. Personne n'a bougé, pas même Julie. Il met sa main sur son front.

 


Chapitre 13
 


Voeu de pauvreté des soeurs contre le jeu de l'argent des dirigeantes: capital, dividende, achat et vente

13.10 Un conseil s'est réuni dans une des salles du couvent. La soeur économe est assise au centre, avec à sa droite la mère supérieure et à sa gauche la mère assistante. En face d'elles, le notaire et l'avocat déplacent de nombreux dossiers. La soeur économe se prend pour un homme d'affaires. Les soeurs sont redoutables et regardent leurs adversaires sans ciller. La soeur économe commence son homélie, effrayant les deux hommes qui s'immobilisent. Elles sont des rapaces impitoyables qui ont l'âpre passion de gagner.

Soeur économe
Moi, la soeur économe, dépendant de notre mère supérieure et de notre supérieure générale, qui relève de notre mère provinciale, elle-même soumise à notre mère générale qui est à Rome, toutes femmes, tant que nous sommes, jamais prêtres, mais victimes sur l'autel avec le Christ, encadrées, conseillées, dirigées par nos supérieurs généraux, évêques et cardinaux, jusqu'au chef suprême et mâle certifié, sous sa robe blanche : Sa Sainteté le pape, je jure et déclare notre voeu de pauvreté. Discutons maintenant : apport, dividende, achat et vente.

Avocat
Que devons-nous faire de vos terres à la campagne et vos maisons à la haute et à la basse ville ? Peut-être devriez-vous vendre et investir en bourse ? Qu'en pensez-vous M. le notaire ?

Soeur économe
Vendre ? Il n'en a jamais été question, monsieur l'avocat.

Notaire
Mais nous avons des acheteurs potentiels qui sont près à mettre le prix...

Mère supérieure
La valeur de ces terres, messieurs, c'est à long terme qu'elle se calcule. Il faut s'approprier le plus de terres possibles, par n'importe quels moyens. Dons et testaments, monsieur le notaire, vous savez ce que vous avez à faire.

Avocat
Mais c'est la soeur assistante ici présente qui disait la dernière fois que ces terres perdaient en valeur...

Soeur assistante
La dernière soeur assistante est enterrée. En tant que nouvelle soeur assistante, voici plutôt comment vous placerez notre argent, au nom de notre bonne conscience.

13.11 La surprise se lit sur les visages des hommes à l'annonce que la soeur assistante devant eux n'est pas la même que la dernière fois. Cette dernière montre des dossiers bien détaillés.


 

Chapitre 14
 

Au lavoir, vision de Julie

14.10 Le lavoir. Une pensée est affichée sur le mur, dans la buée des bouilloires fumantes et des cuves : « Pour une heure de travail, une éternité de bonheur ». Savonnage, brossage, rinçage, essorage. Penchées sur les cuves, les religieuses font la lessive, sans parler, dans un bouillonnement d'eau et un frottement de planches à laver. Sous le regard impassible de ses compagnes, soeur Gemma déroule furtivement, dans l'eau savonneuse, ses bandes maculées par le sang menstruel.

14.20 La vapeur se fond avec des nuages dans la montagne. Le sable gris, les cailloux qui roulent, le petit chemin monte à la cabane. La brume s'effiloche et se dissipe tout à fait. Philomène est assise sur les marches de l'escalier. Ses cheveux enroulés sur des bigoudis, sa robe rose déchirée sous les bras. Adélard nourrit d'herbes les lapins. Elle tend les bras vers la petite fille qui accourt, barbouillée de bleuets.

Philomène
Ma petite cochonne, ma crottinette, mon enfant de nanane à moi.

14.21 La petite fille se blottit contre le giron maternel. Midi éclate partout, Adélard s'approche de sa femme et parle doucement à Julie enfant.

Adélard
Sacre ton camp, la puce. Vitement.

14.22 Julie va retrouver son frère dans les bois. Ils mangent des fruits rouges et noirs, se barbouillent l'un l'autre, se lèchent mutuellement ensuite.


Sommeil somnambulique de soeur Julie, émoi chez les soeurs et la supérieure


14.30 Soeur Julie dort, debout dans la vapeur du parloir. Sa respiration est profonde et large. Parfaitement béate, soeur Julie ne s'appuie à rien. Toutes les soeurs se sont arrêtées de travailler pour regarder dormir Julie. Le spectacle est impressionnant. À un moment donné soeur Léotard tire le bras de Julie pour l'éloigner de la cuve, de peur qu'elle ne tombe dedans. Le bras de soeur Julie reste éloigné de son corps là où l'a tiré soeur Léotard. Cette dernière tire l'autre bras, fort en arrière, et le bras demeure dans cette position. Soeur Gemma est terrifiée par l'étrange état de Julie. Le vague sourire de Julie se change en un fou rire irrépressible. Mère Marie-Clotilde, alertée, entre dans le lavoir. Julie est secouée, de la tête au pied, par une tempête de plaisir, comme si on la chatouillait. Elle ne se réveille toujours pas, mais elle tire la langue comme si elle mangeait une glace. Son ventre et sa croupe s'agitent frénétiquement, d'une façon fort indécente.

Mère supérieure
Il s'agit sans doute d'une danse de Saint-Guy, doublée d'une crise de somnambulisme.

14.31 Giflée, aspergée d'eau, Julie revient à elle. Elle tombe à genoux, sur les carreaux mouillés, aux pieds de la supérieure, la suppliant d'une petite voix fausse.

Julie
Ayez pitié de moi, pardonnez-moi mes péchés !

14.32 C'est à ce moment que soeur Julie lance un regard à la supérieure, le temps d'un éclair. La mère recule tandis que les soeurs sont pétrifiées, les yeux ronds grands ouverts, bouches ouvertes, manches retroussées. Le visage de Julie, yeux fermés, rayonne d'une joie impudente. Elle murmure, la mère s'approche pour entendre.

Julie
Mes mystères joyeux à moi, ma mère, vous pouvez toujours vous les mettre quelque part !



 

Chapitre 15
 

Les peurs enfantines de la mère supérieure reviennent

15.10 Cette nuit-là, dans une des cellules verrouillées du couvent, on aperçoit sur le mur un Christ d'argent sur une croix noire. La supérieure ne parvient pas à s'endormir. Assise au bord de son lit, ayant enlevé ses lunettes, emmaillotée pour le sommeil comme un ballot de toile, elle laisse pendre dans le vide ses grands pieds nus aux chevilles noueuses. Soudain ses gros yeux cavale de droite à gauche et de gauche à droite. Elle saute sur son lit, affolée. La supérieure vient de retrouver intacte la plus vieille terreur de son enfance lointaine : la certitude que le diable se trouve caché sous son lit et que, d'un moment à l'autre, il va la tirer par les pieds pour la dévorer.

 


Chapitre 12 B
 

Fin de la vengeance contre l'abbé Migneault

12.13 Dans le choeur de la chapelle, l'abbé Migneault tremble à l'idée de faire son sermon. Il monte les quelques marches qui mènent à la chaire, il observe, il parle.

Abbé Migneault
Divin Coeur de Jésus, je vous offre, par le Coeur immaculé de Marie, les prières et les actions, les joies et les peines de ce jour, en réparation de nos offenses et à toutes les intentions pour lesquelles vous vous immolez continuellement sur l'autel.

12.14 Encore une fois le rire de soeur Julie retentit dans la chapelle. L'abbé Migneault quitte la chaire précipitamment.

12.20 L'abbé Migneault se sent surveillé alors qu'il marche dans un couloir. Il a peur. Apparaît alors Julie, très vite il la regarde, baisse les yeux puis s'en va rapidement. Cette nuit-là, l'abbé Migneault se voit en rêve devant ses parents. Il se réveille alors qu'il est en train d'étouffer.

Père de Migneault
Tu n'es qu'un raté.

Mère de Migneault
Un minable.

12.30 Le lendemain, Julie frappe à la porte de Migneault. Elle entre.

Julie
Vous m'avez demandée ?

12.40 L'abbé Migneault se jette à ses pieds, lui serre les genoux dans ses mains, enfouit sa tête dans les larges plis de la jupe noire et pleure comme un enfant. Julie caresse de ses mains la tête tonsurée de l'aumônier et lui parle doucement.

Julie
Je ne puis plus rien pour vous. Vous n'êtes qu'un petit niais. Vous n'avez toujours été qu'un tout petit niais.

12.50 Julie frappe à la porte de la mère supérieure. Elle entre. La mère supérieure lui tend un bracelet à pointes.

Julie
Vous m'avez demandée ?

Mère supérieure
Pour avoir ri à la chapelle, vous êtes condamnée à porter à votre poignet, bien caché sous votre manche, le bracelet à pointes. Tous les vendredis du mois, en souvenir de la passion de Notre-Seigneur. En ce qui concerne l'abbé Migneault, il a quitté le couvent après avoir dit qu'il n'y reviendrait jamais.


 

Chapitre 16
 


Soulagement des souffrances de soeur Amélie de l'Agonie par Julie

16.10 Soeur Amélie de l'Agonie se meurt sur son lit à l'infirmerie. Elle vient de terminer d'écrire son dernier mot sur lequel on peut lire d'une écriture informe et puérile : « Je suis trop vieille, je suis tannée de vivre. Je n'ai ni la force ni la corde pour me pendre. Aidez-moi Petit Jésus ».

16.20 La mère supérieure sur l'heure du repas.

Mère supérieure
Voici que nous sommes treize à table aujourd'hui.

16.21 Elle se signe d'un coup de pouce rapide sur la poitrine, fait signe à une soeur, lui parle tout bas.

16.30 La soeur aide soeur Amélie de l'Agonie à se rendre à la table des religieuses, l'assoit en face de Julie. Elle demande du pain et de l'eau, n'ayant pas oublié les gestes réglementaires, quoique très lente et tremblante. Des taches brunes sur ses vieilles mains. Le petit corps momifié, serré par les bandelettes de la mort. Elle interroge du regard Julie qui lui répond par un sourire en signe d'acquiescement. N'attendant plus que ce signe, soeur Amélie de l'Agonie s'écroule morte par terre.


 

Partie II - Automne (p.64)

Chapitre 17
 

Viol de Julie enfant
(Omis.)

Initiation de Julie pour devenir sorcière, elle devient complice
(Incorporé au chapitre 8)

 

Chapitre 18
 

Hémorragie de soeur Julie, le Dr Painchaud veut lui enlever tout l'intérieur

18.10 Ce matin-là à la chapelle, soeur Julie se trouve mal, tombe de tout son long, à moitié couchée sur son banc et les jambes coincées sous le prie-Dieu. Ses jupes sont tachées de sang.

18.20 À l'infirmerie, le médecin discute du problème avec la mère supérieure.

Docteur Painchaud
Fibrome possible dans la matrice, je n'ose poursuivre l'examen à cause de l'hémorragie. Cela semble vouloir s'arrêter.


Le docteur Painchaud reçoit la visite surprise nocturne de Julie, il étouffe mais éjacule
(Omis)

 


Chapitre 19
 

La mère supérieure perd le contrôle du couvent

19.10 La mère supérieure discute avec Julie sur son lit (pas de coupure entre le chapitre 18 et 19). Elle s'empresse d'accepter les demandes de Julie.

Julie
Je veux reprendre ma vie conventuelle, mais je vous en prie, dispensez-moi de l'oraison du matin pendant quelque temps, j'ai une grande fatigue.

Mère supérieure
Je vous accorde la dispense demandée, vous éplucherez des légumes à la cuisine le matin.

19.20 La supérieure ne semble pas très bien. Elle marche rapidement, a un étourdissement dans les escaliers. Elle entre dans son bureau, trouve le dossier de Julie parmi les archives du couvent. On frappe à la porte, c'est l'infirmière.

L'infirmière
C'est à propos des calmants à l'infirmerie.

Mère supérieure
C'est le début de la semaine sainte, je vous en prie. Supprimez les calmants et laissez-moi seule.

19.21 L'infirmière surprise s'en retourne. La mère supérieure ouvre le dossier de Julie. La soeur économe et la soeur assistante entrent en même temps que sort l'infirmière.

Mère supérieure
J'ai écrit des lettres à la mère provinciale et à l'archevêché, implorant du secours et un nouvel aumônier. Aucune réponse, le monde extérieur se tait. Le couvent semble abandonné des hommes et de Dieu.

 


Chapitre 20
 

La nuit déboussolée du couvent

20.10 Image du couvent extérieur de nuit. On entend soudain les malades de l'infirmerie, qui, pour une nuit, reviennent à la vie. Réveillant ainsi tout le couvent. Soeur Jean de la Croix, immense, se lève de son lit-cage, vacille sur ses grands pieds. Quatre-vingts ans, un sac de plastique plein d'urine attaché à la cuisse. Elle entonne une vieille chanson de garde, tenant une poupée à la main.

Soeur Jean de la Croix
(Chant de garde.)

C'est pour endormir mon petit Jésus qui n'arrête pas de chialer et de baver !

20.11 Soeur Sophie, qui est pleine de plaies purulentes, est tout essoufflée.

Soeur Sophie
Que votre volonté soit faite ! Ayez pitié de moi ! Pardon, mon Dieu, pardon pour mes péchés et ceux de toute la terre !

20.20 De l'extérieur, partout les lumières s'allument. Soeur Lucie des Anges monte et descend l'escalier, d'un pas chancelant. Elle frappe à toutes les portes et demande, chaque fois, d'une voix chevrotante :

Soeur Lucie des Anges
Est-ce bien là la maison de mes parents, 92, rue Saint-Augustin ? Est-ce bien là la maison de mes parents, 92, rue Saint-Augustin ? Est-ce bien là la maison de mes parents, 92, rue Saint-Augustin ?

20.30 La mère supérieure est maintenant dans l'infirmerie avec l'infirmière de garde. Soeur Angèle, qui a vingt ans, pleure doucement, presque tendrement, d'une voix nasillarde, lancinante, sans jamais s'arrêter.

Soeur Angèle
Je ne veux pas mourir, pas tout de suite. Je ne veux pas. Je vous en prie, bonne Sainte Vierge.

20.31 Le plus dur à supporter c'est le cri de Soeur Constance de la Paix qui est aveugle et à demie paralysée. Son cri est rauque, inhumain, un grognement plutôt, rythmé et saccadé.

Soeur Constance de la Paix
Mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonnée ? Pourquoi ? Pourquoi ? Mon Dieu, où êtes-vous ? Où êtes-vous ?

Infirmière de garde
Mais non, soeur Constance de la Paix, Dieu ne vous a pas abandonnée. Mais non, reposez-vous. Quel démon vous a donc poussé ma mère ? Le secret du désespoir était bien gardé.

Mère supérieure
Mon Dieu, à quoi peut bien servir la souffrance humaine ?

Infirmière de garde
Et l'aumônier qui répétait que la souffrance est précieuse comme l'or, bonne comme le pain et qu'elle seule peut sauver le monde, l'arracher aux forces du mal et le délivrer des griffes du péché. Le salut éternel. Son prix exorbitant. Scandale, ma mère, que tout cela.

Mère supérieure
Le péché contre l'esprit, c'est peut-être cela. Ce doute, cette remise en question de l'ordre de Dieu. En pleine semaine sainte ! Demain le nouvel aumônier arrive, l'abbé Flageole. Que le silence soit de rigueur. Doublez les doses de calmants prescrits, pour toutes les malades de l'infirmerie.

20.32 L'infirmière de garde acquiesce.

 


Chapitre 21
 

Retournement de soeur Julie pour son frère Joseph, elle redevient pieuse

21.10 Penchée au-dessus de l'évier de la cuisine, soeur Julie épluche des choux et des carottes. Des gestes ralentis et sans pesanteur, semblables à ceux que l'on fait sous l'eau. Puis elle s'anime brusquement et se met à lire avec avidité les nouvelles de la guerre sur les feuilles de journaux qui enveloppent les légumes. On peut lire en gros titre : Dieppe bombardé, plusieurs Canadiens morts. Elle murmure pour elle-même puis se met à prier.

Julie
Joseph ! Lui est-il arrivé malheur ? Serait-ce à cause de ma mauvaise conduite au couvent ?

21.20 Julie prie à la chapelle.

Julie
Joseph...
 


Chapitre 22
 

Office des ténèbres, trois jours de jeûne et de pénitence
(Omis.)

Signe de malheur de Joseph à l'étranger
(Omis.)


 

Partie III - Hiver (p.84)

Chapitre 23
 

Scène d'hiver à la cabane

23.10 C'est l'hiver. La neige fraîche bloque les fenêtres. Lumière bleuâtre et froide. Dehors il fait soleil. Ils ont bouché toutes les fentes entre les planches des murs, avec de vieux journaux mouillés, pétris comme de la pâte. Tout le monde tente de dormir, pelotonnés dans les sacs de couchage. Joseph et Julie se tiennent dans les bras l'un de l'autre. Semblant se jurer alliance et fidélité contre ceux de la porte voisine dont ils entendent les coups dans le mur.

 


Chapitre 24
 

Fin du carême, nouvelles du frère: son mariage avec Piggy
Aliénation de Julie au dîner

24.10 L'heure du repas. Le courrier des soeurs, accumulés durant le carême, se trouve en face de leur assiette. Chaque lettre a été ouverte et lue par la supérieure. Julie n'a pas de courrier.

Julie
Il est arrivé malheur à Joseph. Je suis sûre qu'il est arrivé malheur à Joseph ! Je l'ai tout de suite su lorsque soeur Gemma a ramené le cierge éteint de derrière l'autel.

Gemma
C'est soeur Julie qui a éteint le cierge ! Je suis sûre que c'est elle ! J'ai reconnu son souffle brûlant. Voyez, j'ai encore la marque toute rouge sur ma joue. Là, à droite, vous voyez bien ?

24.11 Comme par hasard, Gemma a énormément de courrier. Elle le montre à Julie d'une manière plutôt fendante. La mère supérieure parle à voix basse avec la soeur économe. Elle montre une lettre de Joseph, déjà ouverte.

Mère supérieure
Mes soeurs méritent d'être punies. Elles le seront. Pour soeur Gemma, il faudra aviser. Quant à soeur Julie, son châtiment est déjà en cours. Je n'ai rien fait pour l'empêcher de croire que son frère... quoique j'aie entre les mains la preuve formelle que ce frère se porte à merveille, depuis quelque temps déjà. Vous avez remarqué comment elle est devenue pieuse et que l'ordre est revenu ?

24.12 On apporte le petit déjeuner pascal : café d'orge qui fume, gruau raboteux, couleur de tweed, sous des ruisseaux de lait frais, des toasts beurrés.

Mère supérieure
C'est la fin du carême mes soeurs, le jeûne est rompu et la parole vous est rendue, de même pour la nourriture et la boisson du petit déjeuner pascal. Vous pouvez ouvrir votre courrier accumulé depuis le mercredi des cendres. Alléluia, soeur Julie, ouvrez donc cette lettre qui vous est adressée, bien en propre, cette enveloppe de papier de soie bleue, oblitérée : Somewhere in England. Vous allez tout savoir, fille de peu de foi et de peu d'espérance, qui avez douté de la bonté de Dieu. Votre frère se porte bien. Il revient vers vous pour vous présenter sa war-bride, ses longues jambes, son nez retroussé, son accent cockney et sa petite théière en grès marron. Cette fille se nomme Piggy. Ce qui signifie en français « petit cochon ». Et le meilleur, Piggy est catholique, quoique anglaise. Ce mystère est grand. Ils ne font déjà qu'une seule et même chair. Dieu l'a décidé ainsi. Dieu, sans qui tout cela ne serait que fornication d'enfer. Que le Seigneur bénisse cette union et qu'elle porte des fruits le plus rapidement possible.

24.13 Soeur Julie est estomaquée. Elle regarde la photo puis remet le tout dans l'enveloppe. On lui sert un plat de gruau qu'elle avale très goulûment et très rapidement.

Julie
Je veux encore du gruau.

24.14 Julie ravale la deuxième assiette de la même manière. Elle s'essuie la bouche avec la manche, pousse un soupir de satisfaction, puis un rugissement. Elle se met à cogner sur la table avec son poing fermé. Elle répète d'une voix rauque qui ne semble plus être la sienne :

Julie
Ah ben Christ ! Ah ben Christ ! Maudit. Baptême. Verrat.

24.15 Il n'y a plus une soeur qui ne regarde pas soeur Julie. La mère supérieure n'en revient pas.

 


Chapitre 25
 

Internement de Julie possédée dans un puits, elle réclame Joseph
(On l'enferme plutôt dans sa chambre, elle n'est pas possédée.)

25.10 Soeur Julie tente d'ouvrir la porte de sa chambre, c'est verrouillé.

Julie
Joseph ! Joseph ! C'est moi, Julie !

25.20 Des soeurs sont cachées dans un coin du couloir.

Une soeur
Elle appelle son frère ! Vous entendez comme elle l'appelle ?

Julie
Jo-o-o-o-seph-seph ! Mon frère est mort, attelé à une petite cochonne d'Anglaise. Piggy, Piggy-Wiggy, ma petite salope, va te faire fourrer dans ta soue par qui tu voudras, mais ne compte pas sur mon frère pour... Joseph, Joseph !

Mère supérieure
Priez, mes soeurs. Priez. La voici qui hurle à nouveau le nom de son frère, comme une possédée.

25.21 La mère supérieure se signe, et tout le couvent avec elle.

 


Chapitre 26
 

Annonce de la cérémonie pour initier le garçon

26.10 À la cabane, le soir, une chandelle éclaire la chambre des parents.

Philomène
Débarque du litte, à cet'heure, mon vieux maudit. T'as déniaisé la fille, il faut que je fasse la cérémonie au garçon. C'est le temps. Le plus noir génie jamais promis au monde, est celui qui naît de la mère et du fils. La possession de la terre sera pour ce fils unique. Il fera paître toutes les nations avec une trique de fer. On parle de la naissance d'un antéchrist, mon mari.

26.11 Adélard crache par terre avec mépris, faussement désinvolte. Philomène appelle son fils d'une voix tonnante.

Philomène
Joseph, Joseph !

26.12 Joseph arrive lentement, il regarde la porte d'entrée. Il y a de la neige fondante et de la boue sur le plancher de la cuisine. Il a juste le temps de mettre ses bottes, de prendre son manteau et de fuir. Il neige dehors. Dans le silence qui suit, on entend le hurlement de rage de philomène.

 


Chapitre 27
 

J sur les bras de soeur Julie de la Trinité, pour Julie, Joseph et Jésus
(Omis.)
 


Chapitre 28
 

Initiation ratée de Joseph, échec de la sorcière
(Omis.)
 


Chapitre 29
 

Généalogie de Julie dans la chambre du nouvel aumônier
(Omis.)

 

Chapitre 30
 

Fuite de Joseph dans la forêt sous les lamentations de la mère
(Reporté au chapitre 26.)

 

Partie IV - Été (p.110)

Chapitre 31


Conflit entre la mère et la fille, transmission du savoir de mère en fille

31.10 Julie est maintenant devenue plus grande que sa mère. Adélard passe tout près d'elle, l'embrasse de façon compromettante. Il a un regard de dédain pour Philomène.

Adélard
Je m'en vas, Julie. Je reste pas ici, avec cette femme dans la maison.

31.11 Adélard sort de la cabane. Julie parle à sa mère qui n'est pas de très bonne humeur. Mais après les paroles de Julie, elle a un sourire sincère.

Julie
Tu as échoué avec Joseph, il ne reviendra plus. Mais moi je réussirai. Changer un enfant en homme. J'aime assez Joseph pour cela. Je serai sa femme. Venger Joseph. Me venger avec lui. Partir avec Joseph, nous établir à notre compte tous les deux, régner sur un grand territoire, fabriquer la bagosse et la magie. Être jeunes ensemble et laisser, loin derrière nous, les morts ensevelir les morts. Tu me transmettras tous tes secrets : telle est la loi.

Philomène
Prend les paniers pour ramasser les fruits, puis viens-t-en.

31.20 Cette partie du film est musicale. On voit la mère et la fille, heureuses, ramasser des champignons, des fleurs et des herbes bizarres. C'est un prétexte pour montrer la nature : le ravin, la rivière et la falaise. On les voit goûter des champignons immangeables, qu'elles recrachent en riant. À la fin on les voit toutes les deux sur la falaise, Philomène pointe l'horizon et fait des gestes qui montrent qu'elle apprend à Julie comment fabriquer ses mixtures et ses onguents.

 


Chapitre 32
 

La bagosse (alcool) fait des morts. Les villageois, le curé et la police s'activent

32.10 Malvina Beaumont, qui était présente lors des célébrations du sabbat, est couché dans le foin d'une grange. Elle a perdu du sang, une cruche de bagosse à côté d'elle.

32.20 La police entre dans une maison. Ils cherchent quelque chose. Ils retournent tout à l'envers, cherchent à la cave. L'homme parle à voix basse.

Le propriétaire
À votre place j'irais chez la goglue, dans la montagne.

32.30 Dans la cabane, c'est le silence. Les volets sont fermés, on a cloué des X sur les vieux volets qui ne tiennent plus. On voit quelqu'un qui creuse un trou dans la cave. Il y jette l'alambic et le reste, enterre le tout. La lampe n'est pas allumée dans la cuisine. Le couple boit lentement, à petites gorgées. Une cruche de verre Heinz est posée sur la table, trois autres cruches sont alignées sous la table, à portée de la main.

Philomène
La bagosse est particulièrement réussie, j'y ai ajouté toutes les herbes qui poussaient dans les pots.

Adélard
Dépêche-toi de vider la cruche, il faut tout boire.

32.31 Philomène boit maintenant à larges lampées.

Philomène
Il faut fuir.

32.32 La tête leur tourne, ils sont ivres. Incapables de faire un mouvement.

Adélard
D'abord... se lever.

32.40 Dans la campagne, en un torrent de lueurs, défilent des hommes, des femmes, des enfants et des animaux. On accuse Philomène au passage de la forêt.

Une femme
C'est elle ! C'est la Goglue !

Un homme
La colère de Dieu va être terrible !

32.50 Julie et Joseph, couchés sous un sapin de la forêt, regardent les gens défilés vers la montagne. Un orage éclate, ils retournent d'où ils viennent.

 


Chapitre 33
 

Condamnation par le mari de la sorcière-mère, il la peint selon le rituel et disparaît dans la forêt

33.10 L'homme avance vers la cabane d'un pas sec et ferré. Il gratte sur la porte, on entend sa respiration contre la porte mince. À l'intérieur on voit Adélard, le chapeau de Philomène enfoncé sur la tête. L'homme fait le tour de la cabane, il frappe au premier volet de la cuisine.

L'homme
La Goglue y es-tu ?

33.11 Il continue son tour de cabane, raclant les volets de ses ongles.

L'homme
La Goglue, y es-tu ?

33.12 Il se fâche, frappe très fort de ses grosses mains sur les planches de la porte.

L'homme
Bon Dieu ! La Golgue, la Golgue, y es-tu ?

33.20 Philomène est assise sur une chaise près de la table de la cuisine, elle est saoule. L'homme se dirige vers la forêt. Adélard s'approche froidement de Philomène, il lui offre à boire, il prend ses distances.

Adélard
Dormez, je le veux.

33.21 Elle sombre tête première sur la table. Adélard la porte jusqu'au lit et sort de la cabane.

33.30 Le son des cloches de l'église paroissiale déferle maintenant à grands coups lugubres et lents sur toute la campagne, jusqu'à la montagne de Bélair.
 


Chapitre 34
 

Mea culpa des villageois, ils veulent ravoir une conscience claire envers Dieu

34.10 Le jour se lève sur le foin coupé délaissé dans les champs. Au son des cloches, les habitants descendent au village pour l'enterrement de Malvina Beaumont. Des enfants marchent pieds nus dans la poussière de l'été.

34.20 Le corbillard est en face du parvis de l'église. On entre la tombe dans l'église sous les paroles du curé.

Le curé
Si iniquitates observaveris Domine :
Domine, quis sustinebit ?

A porta inferi erue, Domine,
Animam meam.

34.21 Dehors, le mari de Malvina Beaumont, pompe les villageois.

Jean-Baptiste
Mon dix-septième enfant a été jeté dans les limbes et ma femme précipitée en enfer ! Ça ne se passera pas comme ça !

Le curé
Dies irae, dies illa
Solvet saeclum in favilla
Teste David cum Sibylla

34.30 Assise sur un banc de l'église, une femme parle à sa voisine.

Une femme
C'est elle. C'est la Goglue qui est responsable de tout. Il faut se débarrasser d'elle et de son diable de mari. Il faut se réconcilier avec Dieu avant qu'il ne soit trop tard.

34.40 De retour chez lui, Jean-Baptiste Beaumont emplit d'huile une cruche de verre Heinz de la cabane. Il y dépose une longue mèche de lampe. On entend les paroles du curé pendant son action.

Voix du curé
Quantus tremor est futurus,
Quando judex est venturus,
Cuncta stricte discussurus.

Rex tremendae majestatis
Quem patronem rogaturus
Cum vix justus sit securus ?

34.50 Il met la cruche dans une sorte de musette de toile grise, met le sac sur son épaule et marche avec précaution vers la montagne.

Voix du curé
Liber scriptus proferetur
In quo totum continetur.

Dies irae, dies illa.
 


Chapitre 35
 

Julie cherche son frère Joseph dans la forêt

35.10 Julie court à perdre haleine dans les fougères qui s'écrasent derrière son passage. Son visage et ses jambes sont égratignées.

Julie enfant
Joseph ! Joseph !
 


Chapitre 36
 

Les soeurs pèchent, elles s'aliènent à Julie en se faisant exaucer des prières-pensées plutôt mauvaises

36.10 Les soeurs font des voeux en passant près de la porte de soeur Julie. La nuit de préférence, sans rompre le silence conventuel, s'arrêtant à peine devant la porte de Julie. Elles supplient tout bas que l'on exauce leur voeu.

Soeur Antoinette
Que je respire seulement le même air qu'elle, s'échappant à travers le trou de la serrure de sa chambre, et je serai vengée de soeur Marie-Rose qui me vole toujours ma place, devant toute la communauté, pour aller à confesse. Que la voleuse soit confondue et punie sévèrement.

Soeur Blanche
Que j'effleure seulement, avec ma jupe, le panneau de la porte, là où elle est enfermée, et je ne serai plus servie la dernière au réfectoire, quand il ne reste que du petit-lait tout bleu au fond du pot, et quand la soupière ne contient que de l'eau de vaisselle, mêlée à la terre des légumes mal lavés.

36.20 On voit soeur Julie de l'autre côté de la porte, sur son lit, l'oeil ouvert et le sourire narquois.

36.30 Le lendemain matin, au moment d'entrer au confessionnal, soeur Julie fait un clin d'oeil à soeur Antoinette, soeur Antoinette se retourne et regarde soeur Marie-Rose marcher vers le confessionnal, volant sa place. Mais avant d'ouvrir la porte elle se met à courir et on la voit entrer dans les toilettes le plus rapidement possible. Soeur Antoinette, heureuse, regarde Julie et entre au confessionnal.

36.40 Au réfectoire, Julie observe Soeur Blanche, avec un air de complicité. La mère supérieure annonce la nouvelle.

Mère supérieure
J'ai décidé de changer l'ordre habituel au réfectoire. On commence à servir à soeur Blanche désormais.

36.41 On voit soeur Blanche sauter sur le lait en remerciant soeur Julie des yeux.
 


Chapitre 37
 

Retrouvailles de Julie et Joseph, la cabane passe au feu

37.10 Julie arrête de courir, essoufflée. Il fait trop noir maintenant. Elle s'est adossée à un arbre. Les larmes viennent, puis les sanglots violents. Elle ravale très vite ses pleurs et se mouche avec des feuilles. Le ciel et la terre se confondent. On entend des craquements de branches, des voix aiguës dans l'herbe, l'appel d'un hibou tout proche. Au loin on entend le clapotis d'un ruisseau. Elle aperçoit enfin des yeux dans le noir, tout à côté d'elle. Elle entend un souffle rapide, elle crie. Mais elle a reconnu dans le noir son frère.

Julie
Joseph !

Joseph
Julie !

37.11 Ils s'embrassent comme des noyés, restent assis enlacés, au pied d'un arbre, la tête légèrement tournée en direction de la cabane. Un instant l'obscurité se déchire, le temps d'un éclair, on distingue un bras d'homme, au poil noir, qui lance une cruche de verre Heinz contre la cabane. À l'intérieur de la cruche, un liquide agité et une mèche allumée. De nouveau la nuit, la forêt inextricable. Bientôt, au-dessus de la cime des arbres s'élève une lueur de plus en plus rouge, puis un panache de fumée, en rouleaux opaques.

Joseph
C'est le bois qui brûle !

Julie
Non, c'est la cabane qui flambe !

37.20 Le lendemain matin, Joseph et Julie osent s'approcher des décombres fumants dont l'odeur âcre prend à la gorge.
 


Chapitre 38
 

Les enfants constatent les dégâts et la mort de leurs parents
(Pas de coupure d'avec le chapitre 37.)

38.10 L'édredon, tout noirci, tombe en poussière dès qu'on y touche. La chambre des parents n'a plus ni toit, ni murs, ni plancher. À ciel ouvert, le lit de fer tordu se dresse, au milieu d'un enchevêtrement de planches calcinées. Une suie grasse vole, et une poudre se colle aux pieds et aux mains, pique le nez et les yeux, fait tousser. Tout autour, l'enceinte de la forêt est faite de troncs d'arbres brûlés, de feuilles recroquevillées et roussies. Par terre, l'herbe rasée, les aiguilles de pin, en longues traînées fuligineuses. On voit un corps ratatiné et carbonisé dans le matelas crevé, au creux du sommier écroulé.
Julie
Philomène !

38.20 Fuir ! Joseph et Julie détalent de nouveau dans la forêt.

Destitution de l'infirmière de garde qui semble avoir des visions
Idée de l'exorcisme par l'abbé Flageole
(Omis.)
 


Chapitre 39
 

Le Dr Painchaud dépérit
(Omis.)
 


Chapitre 40
 

Julie ressuscite dans toute sa beauté au désespoir de Painchaud amoureux qui voudrait s'en détourner
(Omis.)
 


Chapitre 41
 

Désespoir de soeur Gemma
(Omis.)
 


Chapitre 42
 

Julie lance un sort à Piggy et son enfant
La soeur économe, sous les instances de Julie, organise la ruine du couvent

42.10 La soeur économe marche seule dans les corridors du couvent. Elle marche vers la chambre de Julie. Elle réentend une conversation qu'elle a eue avec la mère Marie-Clotilde peu avant.

Mère supérieure (voix caverneuse)
Je vous ai demandé, vous la soeur économe, pour que vous surveilliez soeur Julie. Cherchez à voir ce qu'elle fait et ce qu'elle pense. Il ne faut pas la contredire dans sa maladie, mais rendez-moi compte de toute chose anormale.

Soeur économe (voix caverneuse et assurée)
J'ai les deux pieds sur la terre, moi, ma mère. Vous pouvez avoir confiance en mon bon sens. C'est pas moi qui prendrais des messies pour des lanternes. Économie, économie, ma mère ! C'est le secret des grosses fortunes et des couvents bien assis. Il n'y a pas de petit profit, il faut pondre sur un oeuf. C'est moi qui vous le dis.

Soeur économe (voix normale et moins assurée)
Deux et deux font quatre... Deux et deux font quatre...

42.11 Lorsque la soeur économe arrive près de la porte de Julie, la peur est à son plus haut niveau. Julie ouvre la porte de façon violente, emportant presque la soeur économe en syncope.

Soeur Julie
Vous pourriez aller me chercher des épingles ?

42.20 Plus tard on voit Julie qui pique sur le mur la photo du mariage de son frère. Elle a enfoncé quantité d'épingles dans le bas-ventre de la mariée, souriante et longiligne. Ensuite, les mains cachées dans les plis de sa jupe, elle a fait plusieurs noeuds à la cordelette qui lui tient lieu de ceinture (c'est pour que le sort fonctionne). Julie rouvre la porte, la soeur économe se tient toujours là dans le couloir.

Soeur Julie
Allez me chercher des cigarettes.

42.21 Julie a refermé la porte. La soeur économe déambule dans les corridors.

Soeur économe
Des cigarettes, des cigarettes...

42.30 Dans le portique de la porte d'entrée, un paquet de Player's semblait attendre par terre. La soeur économe, heureuse, retourne dans la chambre de soeur Julie. Suivant à la lettre les indications de Julie, la soeur économe apprend très rapidement à fumer. Dès cet instant, sa vie a été changée.

Soeur Julie
Il faut laisser entrer l'air, puis expirer.

42.40 Dans le bureau bien encaustiqué de la soeur économe, s'élèvent des nuages de fumée. Spirales, volutes, ronds parfaits montent vers le plafond. La soeur économe croise très haut ses jambes sèches, aux bas côtelés. On voit ses jupes, sa cornette, ses jupons, sa culotte de zouave, sa peau de haut et bas.

Soeur économe
Je sens le tabac comme un homme.

42.41 Dans un brouillard qui la fait tousser, la soeur économe traite des affaires du couvent avec une dextérité et une assurance jamais encore atteintes. Elle empoigne le téléphone, une cigarette au coin de la bouche, les yeux tout plissés par la fumée. D'une voix de basse russe, elle fait des affaires.

Soeur économe
Vous allez me vendre les actions de la compagnie de la Baie d'Hudson et les obligations du gouvernement canadien. Et nos propriétés du nord, nous n'en auront plus besoin.

Le notaire
Mais, c'est à perte, ces ventes, que vous me demandez... quoi ? Acheter des savanes, où ? Dans ce coin perdu ?

Soeur économe
Et vous savez ce grand immeuble dans le vieux Québec qui est à vendre... oui...

Le notaire
Mais il est grevé d'une hypothèque ! [...] Très bien, très bien, pardonnez-moi. Je m'occupe de la ruine du couvent.

42.42 La soeur économe brûle tous les coupons au porteur des actions demeurées en sa possession.

42.50 La mère supérieure parle au téléphone avec l'agent de change attitré de la communauté.

La mère supérieure
Le notaire a fait quoi ? Sous les ordres de qui ?

42.51 Du couloir on entend la fureur de la mère supérieure.

La mère supérieure
Au grenier, la soeur économe ! destituée de ses fonctions !

42.52 On voit la porte du grenier se fermer sur la soeur économe, la mère supérieure donne deux bons tours de clef. La soeur économe hurle derrière la porte.

La soeur économe
Je suis un homme d'affaires ! Je veux du tabac Old Chum, une pipe d'écume de mer et un crachoir de cuivre !

42.53 Sa voix de stentor retentit dans tout le couvent, d'étage en étage, jusqu'au rez-de-chaussée.

Soeur économe
Une seule chose est nécessaire, mes soeurs. Filles de peu de mémoire, l'auriez-vous donc oublié ? Moi, Rose de Lima, économe, je vous rapporte la divine pauvreté, tombée en quenouille dans ce couvent. Il faut mourir le derrière sur la paille, mes soeurs. Comme le petit Jésus dans la crèche. Le royaume du ciel est pour le chat qui réussit à passer dans le trou de l'aiguille !


 

Partie V - Automne (p.141)

Chapitre 43


Le couvent se questionne sur Julie
(Omis.)
 


Chapitre 44
 

La paix revenue est attribuable à soeur Gemma qui souffre, on en fera une sainte martyre qui rapporte
(Omis.)

Julie frappe à nouveau soeur Gemma
(Omis.)

 

Chapitre 45
 

Gemma ne sera plus sainte et ne sauvera pas le couvent de la ruine
(Omis.)

Apparition de Joseph nu devant les deux soeurs de garde
L'histoire de Joseph et Julie devenus enfants sauvages, jusqu'au départ de Joseph à la guerre

45.10 Il y a maintenant deux soeurs qui gardent Julie. Elles marchent dans le couloir en face de sa chambre. La porte ouvre, Julie parle.

Soeur Julie
Entrez et voyez.

45.11 Les deux soeurs regardent, Joseph apparaît debout dans une encoignure de la pièce, nu.

Soeur Julie
Ne vous effarouchez pas, mes soeurs. Avant de quitter la pièce au galop, mâchonnant des prières, vous pouvez regarder sans crainte la suite de l'histoire. Maintenant que je vous ai fait voir Joseph tout nu, le pire est fait. Ne partez pas encore, tout le reste n'est que tendresse bizarre et fraternelle. Il s'agit d'un mariage blanc dans une chambre saumon.

45.20 Tout le monde est transporté dans la chambre saumon. L'autre Julie est couchée dans le lit avec Joseph, sous les draps. Joseph est nu. Julie le tient dans ses bras et le caresse. Il aime ça.

Soeur Julie
Non, non, ce n'est pas la cabane. Ce ne sera plus jamais la cabane. La cabane est morte. Il faut bien vivre ailleurs, selon d'autres lois, devenir des anges. L'hiver, c'est facile de trouver un chalet inhabité et de s'y réfugier, en toute sécurité. Il y a plein de conserves sur les tablettes et de merveilleux ouvre-boîtes dans les tiroirs. Mais tout l'été, le frère et la soeur, le jeune ménage, couchent à la belle étoile, se camouflent de terre et de branchages. Quelle vie est-ce cela ?

45.21 L'un dans les bras de l'autre, Joseph mordille le pyjama d'homme de sa soeur. Julie effleure la peau de Joseph du bout des doigts et des lèvres. Joseph quitte brusquement la chaleur du lit. Il se précipite dehors, on l'entend pleurer sur la galerie. Il rentre.

Joseph
Je ne serai jamais initié, ni par Philomène, ni par toi, ni par aucune autre femme. Aucune bougresse de sorcière ne m'aura vivant !

45.30 Joseph s'habille et sort. Tout le monde est transporté au grand air. Julie est couchée dans un sac de couchage dehors, elle porte son vieux pyjama d'homme. C'est l'aube.

Soeur Julie
Pêcher, chasser, être chassés, poursuivis comme du gibier. Au village, on les appelle les enfants sauvages. Une prime est offerte à qui les capturera. Tant de vols avec effraction dans les chalets des vacanciers, la bière dans les réfrigérateurs. Tant de pièges visités et pillés, l'automne, dans la forêt. Le premier qui s'est fait prendre, c'est Joseph. Ça devait arriver, il aime trop à fouiner du côté du village. Il est revenu après trois jours et trois nuits d'absence.

45.40 Joseph apparaît devant sa soeur, tondu, lavé, désinfecté, habillé en soldat.

Julie
Joseph ?

Joseph
Le sergent recruteur m'a promis qu'à l'armée on m'apprendrait à lire et à écrire, et l'anglais, et la religion catholique romaine par-dessus le marché. On m'a demandé, pour une piastre trente par jour, d'aller combattre le diable dans les vieux pays. De l'autre bord de la rivière que ça se trouve. Y s'appelle Hitler. Y paraît qu'y met tout à feu et à sang par là. C'est l'antéchrist qu'y disent.

45.50 Joseph emporte sa soeur à la rivière. Il la baptise.

Joseph
Je te baptise au nom du Père, du Fils et du saint-Esprit.

45.51 Joseph tient la tête de sa soeur sous l'eau, jusqu'à ce qu'elle étouffe.

Joseph
Pour tes péchés, ma belle, pour les miens et pour ceux du monde entier. Il n'y aura jamais personne d'autre que toi dans mon coeur, mais il va te falloir payer en conséquence durant toute la guerre. Trahir le diable, le renier tout à fait pour qu'il ne m'arrive aucun mal dans les vieux pays.

Soeur Julie
Une seule femme lui tient lieu de famille à ce garçon maigre. Épouse, mère, fiancée, grand-mère, cousine. Je suis tout cela à la fois.
 


Chapitre 46
 

Le nu raconté par les deux soeurs chez la supérieure, le plaisir qu'elles y ont pris

46.10 Dans le bureau de la mère supérieure.

Soeur Ignace de Loyola
Non, non, ma mère, ce n'était pas le Christ ! Ni saint Sébastien percé de flèches. Il n'avait pas de linge du tout autour du ventre. Il était tout nu.

Soeur Chrysostome
C'est soeur Julie qui l'a fait apparaître, puis elle l'a fait disparaître d'un seul signe de la main.

Soeur Ignace de Loyola
Elle l'a caressé.

Soeur Chrysostome
Elle l'a embrassé. La soeur Ignace de Loyola a tout vu, comme moi.

Soeur Ignace de Loyola
Oui, ma mère, j'étais là avec soeur Jean Chrysostome pour garder soeur Julie. On ne pouvait plus bouger du tout, ni même baisser les yeux.

Soeur Chrysostome
On mourrait de peur, mais on était figées toutes les deux par la peur et par quelque chose de plus effrayant que la peur, ma mère... Par le plaisir, le plaisir effrayant devant la beauté infâme de l'apparition.

Soeur Ignace de Loyola
Je le confesse, ma mère, je n'ai jamais été plus heureuse de ma vie depuis ma première communion.

La mère supérieure
Petites malheureuses ! C'est le Diable qui vous a séduites par l'entremise de soeur Julie ! Courez bien vite vous confesser toutes les deux, et priez saint Michel qu'il vous défende dans les combats afin que vous ne périssiez pas au jour terrible du Jugement.


 

Partie VI - Hiver (p.157)

Chapitre 47
 

La femme de Joseph est enceinte. Julie se déchaîne, une tempête éclate

47.10 Des rafales de vent font craquer la charpente du couvent, cognent contre les lourdes portes verrouillées. Les arbres du petit jardin des soeurs sont tordus et secoués. Ici et là, des fenêtres s'ouvrent sous la poussée violente des courants d'air, battent à qui mieux mieux, pendant que les petites soeurs courent d'un étage à l'autre pour les refermer. Des objets se cassent par terre à la cuisine. Bientôt la pluie en larges gouttes sonores cingle les vitres. Dans la chambre de soeur Julie, des objets sont également fracassés par terre, mais ce n'est pas le fruit du vent. Du couloir on entend le grand cri languissant de soeur Julie.

Soeur Julie
Nooooooon !

47.20 La supérieure regarde par la fenêtre de son bureau. Quelques soeurs se tiennent derrière elle.

Mère supérieure
Oui, je sais. Elle vient d'apprendre que la femme de son frère est enceinte.

Trois heures de l'après-midi, le ciel est noir comme de l'encre.

47.21 On aperçoit un éclair, le coup de tonnerre suit.

Une soeur
Un orage électrique ! En plein mois de janvier ! C'est pas croyable !

Mère supérieure
Que toutes les soeurs disponibles aillent prier et chanter à la chapelle, il faut conjurer le sort.

47.30 Deux soeurs écoutent à la porte de Julie. La dernière phrase est criée.

Soeur Julie
Joseph est un ange ! Il m'aime comme un ange ! Il m'a trahie comme un salaud !

 

Chapitre 48
 

Julie séduit le Dr Painchaud
(Omis.)
 


Chapitre 49
 

Visite de Marilda Sansfaçon, une témoin du passé. Son assassinat
(Omis.)


Julie danse avec Joseph dans un pub londonien
Sort jeté à Joseph. Annonce de sa mort alors que sa femme et son bébé sont déjà morts
(Pas de coupure d'avec le chapitre 47.)

49.10 On peut voir sur la photo sur le mur que le marié porte au côté gauche une déchirure faite au couteau. Julie se retourne, elle attire vers elle l'image de son frère, avec tout autour l'air et le lieu où il se trouve. Il y a des tablettes pleines de bouteilles et de verres alignés. Un bout de comptoir brille, métallique et nu. Des tabourets noirs. On entend un disque qui tourne au ralenti et s'essouffle. Soeur Julie se dédouble et danse avec son frère habillé en soldat. Elle se voit danser avec lui, dans un pub londonien sombre et désert, un slow interminable et funèbre. Joseph vit, mais son visage est empreint d'une telle tristesse que soeur Julie comprend tout de suite que le premier des malheurs est arrivé.

Joseph
Ma femme et l'enfant sont morts.
 


Chapitre 50
 

Télégramme annonçant la mort de Piggy et son enfant

50.10 Le ciel est bleu. La neige et la glace étincellent au grand soleil. L'air est très doux. Pas un souffle de vent. Les camions de la ville vont et viennent, sont chargés d'arbres arrachés, de branches et de débris de toutes sortes accumulés par la tempête. Un petit télégraphiste apporte un télégramme pour Julie, c'est signé Joseph.

50.20 La mère supérieure apporte le télégramme à Julie. Elle lui offre ses condoléances pendant que Julie lit.

Mère supérieure
Je vous offre mes sincères condoléances, ma soeur.

Soeur Julie
Piggy-Wiggy, te voilà bien avancée. T'avais ben en belle, ma belle cochonnette d'Anglaise.

50.21 Soeur Julie est radieuse, d'une joie féroce. Elle rit à la face de mère Marie-Clotilde.

Mère supérieure
Je crois que l'on peut vous dispenser de deuil... mais je vous exhorte à aller vous confesser au nouve laumônier, l'abbé Flageole.
 


Chapitre 51
 

L'exorcisme de Julie par le grand exorciste, un pacte implicite se produit entre les deux
(Omis.)
Julie le gagne par des tissus richissimes durant la nuit
(Omis.)

Julie est enceinte

51.10 Coiffe, voile, cornette, guimpe, barbette, scapulaire, Julie a pieusement revêtu les vêtements angéliques du grand apparat de son ordre. Ce qui n'est pas pour déplaire au nouvel abbé très sensible à la beauté des costumes religieux. Elle s'est agenouillée aux pieds de Flageole dans le confessionnal.

Abbé Flageole
Qu'avez-vous fait et quelle a été votre conduite au couvent durant ces derniers mois ? Donnez-moi votre confession.

Soeur Julie
J'ai fait trois rosaires de moins que le règlement et j'ai quelque peu négligé les exercices religieux du matin.

Abbé Flageole
Rien que des péchés véniels, des vétilles de bonnes soeurs. Il n'y a pas de quoi crier au diable. Je vous pardonne de vos péchés devant Dieu, allez en paix mon enfant.

51.11 Elle reçoit l'absolution et fait sa pénitence, les yeux baissés, les mains cachées dans ses larges manches.

Soeur Julie
Amen. L'avent est déjà commencé pour moi, mon révérend. Je suis enceinte et ne sais au juste quand je devrai accoucher. Faites-moi bien vite sortir de ce couvent, car le scandale est proche.

51.12 Le curé fait une volte-face.
 


Chapitre 52
 

Attente du bébé
Julie rumine contre la trahison de Joseph

52.10 Julie est étendue sur son lit, relevée, son ventre à l'air libre.

Julie
Si c'est une fille, je l'appellerai ma chatte et ma chouette. Si c'est un garçon, je l'appellerai mon amour. Je réussirai là où la pauvre Piggy a échoué. Je triompherai là où Philomène a échoué. Je coucherai avec mon fils, telle est la loi antique. J'oublierai ce couvent de si pauvres magies, toute l'Église souffreteuse et mon frère Joseph qui m'a trahie. Ce condamné à mort mérite son châtiment. Mais avant que son coeur ne lui éclate dans la poitrine, il faudra les derniers jours les plus rudes de la longue bataille de Cassino. Plus que quelques mois à attendre, mon petit Joseph, avant que tu puisses mourir, non pas en paix, mais dans l'horreur.
 



Partie VII - Été (p. 175)

Chapitre 53
 

Le Dr Painchaud ausculte Julie

53.10 La mère supérieure au médecin dans le couloir.

Mère supérieure
Elle n'a plus de règles du tout. Elle rend à mesure tout ce qu'elle mange. Elle réclame du blé d'Inde, des gadelles, du Pimbina et de la gelée d'atoca ; toutes sortes de nourritures qu'on ne trouve pas au couvent. Elle bave comme un enfant qui fait ses dents, elle est constipée, elle fait pipi toutes les heures. Elle est le centre de la vie et existe si fortement que cela devient intolérable. Elle proclame qu'elle est enceinte et va vivre cela dans le bruit et la fureur, jusqu'à la fin. En dépit des consignes de silence, j'ai bien peur que tout le monde soit au courant de ce qui se passe.

53.20 Ils entrent dans la chambre de soeur Julie. Elle ouvre sa chemise et soupèse ses seins gravement, afin qu'ils puissent constater le volume de plus en plus considérable de sa poitrine, lourde et tendue. Le docteur Painchaud écoute au stéthoscope le coeur de l'enfant.

53.30 Dans le bureau de la supérieure. Le docteur et la mère Marie-Clotilde discutent.

Le docteur Painchaud
Il m'est impossible de détecter au stéthoscope le battement du coeur de l'enfant. Elle prétend que son enfant déteste les étrangers. Il se recroqueville dans son logement et retient les battements de son coeur dès qu'on l'ausculte.

Voix de soeur Julie
Et puis je crois que mon enfant n'a pas de coeur ! (Elle rit.)

Le docteur Painchaud
Une grossesse nerveuse, peut-être.

Voix de soeur Julie
Mon enfant vit. Mon enfant bouge. Il me donne des coups de pieds dans le foie.

Le docteur Painchaud
Elle n'est plus vierge. Qui est le père de ce petit monstre qui se démène ?

Voix de soeur Julie
Mon enfant n'a pas de père. Il est à moi, à moi seule. J'ai ce pouvoir.


On trouve les marques du diable sur le corps de Julie
(Omis.)

Durant la nuit la mère supérieure découvre dans le grenier l'enfant du diable

53.40 Mère Marie-Clotilde a complètement perdu le sommeil. Elle erre dans le couvent toute la nuit, en grand costume des dames du Précieux-Sang. Une plainte lointaine et continue, un seul souffle, filé interminablement, mène mère Marie-Clotilde au grenier. Un petit lit de fer noir est dressé dans un coin du grenier. Une couverture blanche remontée jusqu'au menton, un enfant est couché sur le dos, mais on ne le voit pas. Il pleure. La mère supérieure semble horrifiée par ce qu'elle voit.

Mère supérieure
La peine du dam.
 


Chapitre 54
 

Les soeurs jasent

54.10 On voit le couvent de l'extérieur et on entend les soeurs jacasser à l'intérieur. On pourra voir ensuite les fresques sur les murs de la chapelle pendant leurs paroles.

Abbé Flageole
Prions mes soeurs.

Kyrie eleison
Christie eleison

Une soeur
Son enfant grossit de jour en jour.

Une soeur
Elle le porte très en avant.

Abbé Flageole
Sainte Marie.
Sainte Vierge des vierges.
Miroir de la sainteté divine.

Une soeur
Le docteur n'ose plus l'ausculter. Elle l'a défendu.

Une soeur
Elle prétend que cela peut faire mourir son bébé.

Une soeur
Le docteur s'est fâché contre soeur Julie. Il l'a accusée de jouer la comédie. Il dit que son gros ventre est vide, plein d'air comme un ballon.

Abbé Flageole
Étoile du matin.
Santé des malades.
Refuge des pécheurs.

Une soeur
Mon Dieu, quel miracle est-ce là ! Quel rêve ! Pourquoi soeur Julie ? Pourquoi pas moi ?

Une soeur
Et moi ?

Une soeur
Et moi ? Cet enfant, elle l'a fait toute seule, sans le secours d'aucun homme.

Une soeur
Vous savez bien que ce n'est pas possible, ma soeur.

Une soeur
La Vierge Marie l'a bien fait, elle !

Une soeur
Une fois seulement, dans toute l'histoire de l'humanité, une vierge mère.

Une soeur
Et si le Messie cherchait à revenir sur la terre ?

Une soeur
Et si c'était l'antéchrist ?

Une soeur
Ah ! Taisez-vous, ma soeur, vous me faites mourir.

Une soeur
Moi, je prétends que c'est le diable qui...

Une soeur
À moins qu'elle n'ait fauté avec le docteur.

Une soeur
Ce n'est pas possible, notre mère supérieure accompagne toujours le docteur dans la chambre de soeur Julie.

Une soeur
Ce serait un bien grand crime.

Une soeur
Un péché mortel, ma soeur.

Abbé Flageole
Agneau de Dieu qui effacez les péchés du monde,
Pardonnez-nous, Seigneur.

Une soeur
Il me semble qu'un enfant a crié ? N'entendez-vous pas, ma soeur ?


Meurtre du bébé par la mère supérieure, le docteur et l'aumônier

54.20 L'abbé Flageole, le docteur Painchaud, la mère supérieure, Julie et le bébé se retrouvent dans la même pièce.

La mère supérieure
Comment cela est-il possible ? Cette fille, gardée, surveillée, claquemurée dans un couvent fermé à double tour, a trouvé moyen de faire un enfant ? Par magie, dit-elle. Et nous voici avec un bébé sur les bras. Le scandale appelle le scandale.

Il faut sauver la réputation du couvent, à n'importe quel prix. Après, après seulement, nous nous abîmerons dans une vie de pénitence. Ayant commis le péché pour notre compte, nous n'aurons plus qu'à l'expier jusqu'à la mort. Nous paierons notre dette à Dieu ou au diable. Notre pénitence sera sans fin.

54.21 Le premier qui fait un geste, c'est le docteur Painchaud. Julie pleure.

Docteur Painchaud
Soeur Julie, couchez-vous. Il faut dormir. Je vais vous faire une piqûre.

54.22 Mère Marie-Clotilde enveloppe le bébé dans un pan de son voile. Sitôt l'injection dans les veines, Julie sombre dans le sommeil. La mère supérieure emporte le bébé dans son bureau, elle est suivie de l'abbé Flageole.

54.30 Les deux regardent le bébé qui est installé sur le bureau. En aucun temps on ne peut le voir. La suggestion est plus appropriée et plus puissante que la déception du spectateur.

Mère supérieure
Il a l'air d'un crapaud.

Abbé Flageole
On étouffe ici. Cet enfant répand autour de lui une chaleur qui n'est pas naturelle.

54.31 L'aumônier est inondé de sueur. Il ouvre largement la fenêtre sur la nuit d'hiver. Il prend de la neige, à pleines mains, sur le rebord de la fenêtre. Il en couvre l'enfant, l'étouffe dans la neige.


Départ de Julie du couvent: mission accomplie, le couvent au complet gît dans le péché

54.40 Julie a revêtu la jupe et la veste qu'elle s'est grossièrement confectionnées à même sa couverture de flanellette grise. Sur sa tête, un mouchoir blanc noué sous le menton. Elle a soigneusement étendu sur le lit sa défroque de dame du Précieux-Sang. Elle sort par la fenêtre, elle quitte le couvent. On entend sa voix.

Voix de soeur Julie
Le mal est en eux maintenant. Un nouveau-né étouffé dans la neige. Je n'ai plus rien à faire dans cette maison. Mission accomplie.

54.50 Le ciel haut est plein d'étoiles. La neige fraîchement tombée a des reflets bleus. Une paix extraordinaire. La ville entière dort. Un jeune homme, grand et sec, vêtu d'un long manteau noir, un feutre enfoncé sur les yeux, attend soeur Julie, dans la rue.
 

 

 

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